Mais qu'est-ce ? Un fantôme ? Non, c'est une morue (Pv Elio)[Terminé]

Le jeune homme qui venait d'arriver ne l'avait pas vue. Elle savait qu'elle était petite et menue, mais de là à ne pas la voir...En même temps, elle devait plus ressembler à un tas de chiffons noirs, d'autant qu'il ne devait pas s'attendre à trouver quelqu'un en s'aventurant dans cette épave. Sans bouger pour ne pas l'alerter de sa présence, elle l'observa. De prime abord, il était grand et avait les traits plutôt fins. Enfin, elle ne voyait pas très bien entre ses cheveux et la distance. Et puis, la nuit commençait à tomber de plus en plus. Il semblait jeune...Et son attitude ne le démentit pas le moins du monde. Son père lui avait souvent répété que les garçons ont un âge bête et que certains ne le quittent pas. Elle avait eu tendance à remarquer, même si elle avait toujours le sentiment qu'elle pouvait parler. Par moment, elle était pareille.

Il entreprit de monter au mât. Oui, il avait osé imaginer le truc à ne pas faire sur ce navire et il était bel et bien en train de le mettre en œuvre. Certaines personnes avaient quand même de graves problèmes. Il fallait cependant avouer qu'il se débrouillait bien, malgré un manque cruel d'agilité. Il ne mit pas très longtemps à arriver en haut, mais elle se demandait comment il allait bien pouvoir redescendre. De là où elle était, elle voyait des points stratégiques qu'il pouvait utiliser. Comme elle aimait bien rire, elle n'eut pas envie d'ouvrir la bouche pour lui indiquer le chemin. Alors, le bateau se mit à bouger, elle dut plaquer ses mains contre le plancher pour ne pas royalement se viander. Des morceaux de cordages commençaient à tomber çà et là sur le pont, assez loin d'elle, fort heureusement.

Lou leva les yeux pour voir l'inconnu descendre par palier et plutôt rapidement jusqu'au sol. Il le traversa d'ailleurs sans ménagement. *Ouch* se dit-elle. Elle avait mal pour lui, mais il semblait encore en assez bon état. Et dire qu'elle pensait qu'il n'y avait que dans les livres, que ça pouvait arriver ! Comme quoi, on en apprend tous les jours.

Elle se leva doucement, sentant le bateau qui continuait de bouger en tous sens. Elle prit sa navaja et la passa à sa ceinture, la coinçant soigneusement car elle avait tendance à tomber en lambeaux et tomber tout court, d'ailleurs. Avec précaution, elle s'approcha du trou, entendant des éclats de voix et des chocs. Peut-être devrait-elle le laisser crever après tout ? Est-ce que ça serait une si grosse perte que ça ? Oh, elle était dans un bon jour, elle allait bien lui donner un petit coup de main, non ? La flemme...Ses deux pieds au bord du trou, elle pencha la tête de côté en observant le jeune homme qui pendait dans le vide par un pied, un sourire narquois aux lèvres. *Et là, t'as l'air fin, mec.*

Elle se pencha alors et tendit sa main à l'inconnu. Son père lui dirait de ne surtout pas se laisser approcher par un homme, mais quel père ne dirait pas ça ? "File-moi ta main, je couperai la corde quand tu seras sur le plancher." Dans le même temps où elle disait ça, une autre petite voix lui criait de ne pas faire confiance à un boulet pareil et qu'elle pourrait se retrouver dans une situation embêtante. Elle fit mettre la sourdine à ce sursaut de conscience paranoïaque. On ne peut pas tout le temps faire des âneries, non ?

Elle rêvait. Pourquoi était-elle toujours aussi inconsciente de tous les paramètres ? Ce n'était pas faute d'y avoir travaillé à moitié pendant des années. La perfection est malheureusement une donnée impossible chez l'homme. Et la voilà qui se retrouvait pendue au bout du bras de l'inconnu qui devait certainement en souffrir. Elle n'était ni grande ni lourde, mais tout de même. Finalement, son père avait raison : ne laisse jamais un homme te toucher, il ne t'arrivera que des malheurs (le mot initial était "m*rdes", mais pour une raison évidente d'esthétique de la langue, nous avons préféré le modifier).

Lou tenta d'évaluer le plus vite la situation. Il y avait bien un nouveau degré de planches pas très loin, mais s'il était aussi solide que le premier...Non, ce n'était pas une bonne idée, si elle traversait tous les différents étages du navire et tombait dans la mer, elle ne savait pas ce qui l'attendait et ce n'était pas sûr que le jeune homme vienne la chercher. Peut-être même qu'elle se fracasserait le crâne ou la nuque en tombant et c'était tout de même bête de finir comme ça. Il fallait qu'elle atteigne de nouveau le pont, mais vue la solidité précaire des planches, c'était difficile voire impensable. Cependant, si elle parvenait à peser moins sur ce bras qui lui sauvait pour le moment la vie, elle le ferait volontiers, d'autant qu'elle commençait à avoir mal à l'épaule.

Et il essayait de lui faire la causette...Il se foutait d'elle ou quoi ? Elle leva les yeux vers lui et haussa un sourcil, ne prenant pas la peine de répondre. Non, elle réfléchissait toujours. Elle ne pèserait pas plus lourd au bout de la corde, du moins, si elle ne se trompait pas. Était-ce réellement une bonne idée ? Après tout, qu'est-ce qu'elle risquait ?

Le roulis ? Elle l'avait senti dès son arrivée sur le bateau, alors il n'y avait pas de quoi se faire du soucis, c'était même plutôt habituel au bord de la mer. Elle réévalua son plan tout en regardant les points d'appui stratégiques. C'était bizarre à dire pour quelqu'un de complètement illogique. "Je ne sais pas...de la mer, sans doute. Bouge pas, je vais essayer un truc." Elle prit appui sur sa main et contracta la totalité de son corps -car oui, elle avait des muscles-, remontant ses jambes puis le reste de son corps le long du dos de l'inconnu. Elle n'était pas forcément très douée pour tout ses trucs-là, mais elle s'en sortait plutôt pas mal quand il était question de ne pas se rompre le cou. Au bout de quelques secondes, elle parvint à s'agripper comme un petit singe à l'inconnu. Non, Lou n'était pas le genre de jeune fille prude qui se refusait à toucher un homme. Un homme est un être humain normalement constitué et il n'y avait pas de raison de rougir ou d'être gênée. "J'essaie d'atteindre le plancher ou tu as une autre solution, maintenant que ton bras est libre ?" Bon, peut-être qu'il allait la virer et l'envoyer bouler, mais s'il n'avait pas d'humour, ça n'était pas son problème. Elle était là par sa faute, elle avait voulu l'aider et il n'avait pas réfléchi aux conséquences. C'est beau la mauvaise foi, n'est-ce pas ? Mais qu'il n'aille pas se plaindre, elle ne lui pesait plus au bout du bras. Et si elle était tombé sur un saint-ni-touche, c'était tant pis pour sa poire.

Si elle n'était pas obligée de se tenir, elle lui aurait volontiers tirer des baffes. Un boulet. Voilà comment résumer cet inconnu si on devait le décrire en un mot. Elle était trempée et avait failli s'étouffer à cause de ce véritable déluge. Recevoir de l'eau en pleine poire la tête à l'envers, il n'y a rien de mieux pour se noyer sans être immergé. Qu'est-ce que ça pouvait être stupide, un homme, dès qu'y avait une main de femme sur lui. Et dans le dos, notez bien l'absurdité de cette perte de moyens. Et après, ils allaient dire que les femmes étaient coincées. Et eux, c'était quoi ? Elle voyait bien qu'il faisait tout pour ne pas la regarder et avait du mal à se contrôler. Un petit pervers qui avait du mal à assumer ses pensées ? ça y ressemblait et si elle avait eu un mouchoir, elle aurait pleuré une petite larme sur son sort, mais vu qu'elle avait les deux mains occupées...à tenir la tunique du jeune homme pour ne pas s'éclater le crâne sur le plancher. A quoi pensiez-vous encore ? Non mais !

Bon, il avait l'air d'avoir repris ses esprits et de les avoir rassembler au point de concentration classique, c'est-à-dire son cerveau. Les hommes ont la faculté d'éparpiller leurs idées dans des endroits insolites. Un bruit attira son attention et son regard se porta sur le vide en dessous d'eux. L'eau montait...de façon plutôt bizarre. On va dire qu'un pilier d'eau remontant de façon parfaitement perpendiculaire au sol, c'est assez rare, ou sinon c'est un geyser et ça aurait fait mal. Très mal. Vu qu'elle n'était pas capable d'une telle prouesse et qu'il n'y avait a priori personne d'autre sur ce navire, c'était forcément lui -elle ne connaissait toujours pas son nom- qui faisait monter les eaux de la sorte. C'était d'ailleurs très joli. Il y avait des reflets inattendus et des nuances qui donnaient l'impression d'un réel être vivant. La jeune femme était presque hypnotisée par cette masse mouvante et si stable, tandis que la matière première était l'une des choses les plus insaisissables au monde. C'était fascinant de voir la maîtrise d'un élément aussi libre.

Les doigts du jeune homme se posèrent sur la surface et tout se glaça progressivement. Impressionnant. Et dire qu'un garçon aussi maladroit et tout ce qu'on veut pouvait faire ce genre de tour de passe passe comme un rien. A condition qu'il n'y ait pas une jeune femme -aussi menue et commune soit-elle- agrippée à lui. En y réfléchissant bien, elle pouvait comprendre. Une fille qu'il ne connaissait pas jouait les singes acrobates sans aucune gêne. Bah oui mais ils étaient deux êtres humains qui ne faisaient rien de mal, il n'avait pas à rougir de la situation, quoi ! Et puis zut, les hommes c'est bête, un point c'est tout. Na !

Et elle en eut la preuve en image. Après un nouveau tour plutôt réussi avec une épée de glace, il coupa la corde et dégringola, ne connaissant visiblement pas une propriété essentielle de l'élément qu'il semblait pourtant maîtriser. Un pingouin se serait mieux débrouillé ! Mais elle remercia cependant elle ne savait trop qui pour s'être retrouvée du bon côté dans la chute : celui de la chanceuse amortie par ce cher et dévoué jeune homme qui avait sans doute dû morfler. Son cœur battait la chamade, elle avait bien cru qu'elle allait y passer sur ce coup, mais elle allait s'en remettre. Ce genre de sensations fortes n'étaient pas dans la liste des expériences à retenter. Certes, elle avait fermé les yeux par un réflexe inexpliqué à ce jour, mais humain.

Mais elle était en vie, et elle n'avait plus de soucis à se faire. Lou soupira et jeta un regard vers le trou béant du pont. "Oui, on s'occupera de remonter plus tard." répondit-elle pas très convaincue. Puis elle se rendit compte que si elle restait trop longtemps -ça faisait déjà quelques longues secondes qu'elle était là-, il allait avoir mal. "Oh, désolée !" Elle se redressa et s'agenouilla rapidement à côté de lui, se pencha très légèrement en avant. Elle passa sa main sous sa tête et la souleva un peu pour essayer de le mettre dans une position plus confortable. "ça va aller ?"

L'esprit rêveur de Lou avait encore fait des siennes, si bien qu'il avait dû bien souffrir pendant les 10 secondes durant lesquelles elle était restée sur lui (les hommes ont toujours une tendance à l'exagération). Parfois, elle se disait qu'elle devrait faire plus attention à ce qui l'entourait et moins rester dans sa bulle. Mais c'était fonder un espoir vain dans cette capacité d'abstraction qui ne cesserait jamais de l'empêcher de réfléchir plus de deux minutes à quelque chose. C'était un reproche qu'on lui avait toujours fait, et de toute part. Et ce n'était pas à dix-neuf ans qu'elle allait réussir à changer ce genre de petits détails qui ne la dérangeait pas pour vivre. Il n'y avait que dans les conversations qu'elle parvenait à s'intéresser du début à la fin. Et encore, avec des pauses...plus ou moins longues, cela dépendait des personnes. Oui, bon, d'accord, la concentration et Lou, ça faisait deux. Mais ça ne l'empêchait pas de vivre et puis voilà (vous noterez cet argument très convaincant et pourtant très usité). Enfin, il n'en mourrait pas pour autant, ce n'était que dix secondes.

Ouais...bah c'était pas gagné. Le cerveau était touché. Gravement. Répondre "bleu" comme ça...Il parlait de quoi, là ? De ses yeux ? De l'eau ? Elle avait déjà vu des garçons timides, mais elle ne se souvenait pas avoir déjà troublé quelqu'un comme ça. C'était ridicule, d'ailleurs. Balbutier une mauvaise réponse comme ça, à une question aussi élémentaire...Est-ce qu'elle avait quelque chose de mal ? Ne serait-ce que pour tomber sur un boulet pareil. Ou alors elle était trop tactile, trop directe et trop naïve pour ne pas voir ce qu'elle faisait. Ce n'était pas le moment de la remise en cause, mais pourtant, elle réfléchit un quart de seconde et se dit qu'y avait des gens quand même bien prudes et mal à l'aise pour pas grand chose. C'était naturel et sincère, il pouvait bien faire un effort pour retenir ses mouvements de pudeur, c'était vraiment d'un niais...Bon, il fallait tout de même admettre qu'il y avait des gens qui ne devaient pas avoir l'habitude des contacts humains. Et puis zut, à quoi bon !

Après un moment où il resta sans la regarder -ce qu'elle trouvait stupide et un peu vexant, était-elle si horrible que ça ?-, il répondit enfin quelque chose de cohérent. Bon, ce devait encore être la timidité qui l'empêchait de regarder les gens dans les yeux. Tant qu'il ne regardait pas ailleurs. Vous pourrez toujours vous défiler, hommes, vous matez et bien ! Les femmes aussi, soyons honnêtes, mais rien ne sert de nier. C'était d'ailleurs une chose à combattre, en ce bas monde : la mauvaise foi. Pourtant, elle en était un bel exemple, quand elle le voulait -comme beaucoup de femmes, je vous l'accorde-, mais finalement, c'était peut-être une noble cause à défendre...Oh ! Plus tard, la flemme.

Puis, tout lui sembla plus sombre. La nuit devait être enfin tombée. Oui, c'était sans doute ça, elle ne voyait pas d'autre explication rationnelle. Elle leva tout de même les yeux, et se rendit compte que le trou béant du pont était maintenant rebouché. Étrange...Le bateau se reconstituait-il de lui-même ? Intéressant, intéressant. En tout cas, si c'était des personnes, ils étaient drôlement rapides et habiles, sans parler du silence dans lequel ils auraient opéré. Impossible que ce soit autre chose qu'une cause surnaturelle et à première vue inquié...

Elle tomba sur le côté comme un sac, ne s'étant pas préparé à ce geste du jeune homme. La grâce féminine ne l'ayant jamais spécialement habitée, ce fut donc avec une certaine lourdeur pour son petit corps qu'elle se retrouva le dos contre le sol gelé. Avec sa simple tunique de coton noir trempée d'eau de mer, c'était tout simplement le pied d'être en contact avec de la glace. Et le cri qui suivit ne lui dit rien qui vaille. Sans bouger, elle lui jeta un coup d'oeil et vit qu'il s'était fait mal au dos. BOULET ! Elle soupira. "T'es sûr que ça va aller ?" demanda-t-elle en se redressant. Elle ne le toucha pas, elle avait finalement peur des réactions inattendues de ce corps bizarre. Ses yeux se posèrent de nouveau sur le plafond. Sans doute qu'il y aurait un escalier correct dans ce bâtiment. Elle sortit sa navaja de sa ceinture. Le manche était certes en mauvais état, mais le pommeau de métal ferait l'affaire. "Bon, je vais essayer de nous frayer un chemin, à moins que tu aies une solution plus simple." Elle commença à frapper la surface de glace avec le manche de son arme. Lou n'avait pas beaucoup de force, mais une fois qu'elle aurait commencé à casser deux ou trois morceaux, ça irait plus vite. "Tu vas réussir à te lever ou te déplacer, comme ça ? Je peux peut-être t'aider un peu."

Les gens étaient tous les mêmes. On pouvait s'enquérir de leur santé, de leur situation, ils prenait tout de travers, se méfiant de la gentillesse naturelle qui pour eux était toujours feinte. C'était plutôt vexant. Ou plutôt, ça lui faisait toujours un peu de peine de voir que le monde de cette époque ne pouvait pas accepter une bonne aide avec un sourire ou un "merci", ils préféraient soit le prendre mal soit être agacés d'un petit rien qui ne faisait franchement aucun mal. Au contraire, c'était vraiment donné de bon cœur et rejeté avec dédain. Enfin, passons sur ce détail, après tout, elle ne le connaissait pas et elle n'était personne pour lui, alors à quoi bon s'amuser à jouer les mères poules pour des clopinettes ? Jouer n'était encore pas le bon terme, mais tant pis.

Il la prenait pour une imbécile, mais si elle avait expliqué pourquoi elle faisait ça, sans doute qu'il aurait compris son geste. Lou n'était pas stupide sans être d'une intelligence sans borne, mais elle savait au moins calculer une quantité d'eau par rapport à sa taille et s'il faisait fondre tout ça, elle serait en dessous de la surface, et elle ne savait pas nager. Et oui, que voulez-vous, on ne peut pas être parfait tout le temps ! C'était pour ça qu'elle voulait rayer la glace. Pour pouvoir marcher dessus jusqu'à la porte sans glisser. Mais comme tous les hommes qui aiment se croire supérieur aux femmes, il l'avait envoyée promener. Il y avait des fois où elle se demandait si la soit disante égalité des hommes et des femmes était applicable sur le plan moral du terme ou si le complexe d'infériorité des uns et des autres continueraient encore à créer des querelles du genre. Même si ce n'était quasiment rien, mais elle aurait tant aimé être seule pour pouvoir se débrouiller à son rythme. Ou alors qu'il parle de façon plus agréable car elle le trouvait maintenant plutôt antipathique. Parler gentiment ne faisait aucun mal, n'écorchait pas de langue et n'abîmait pas le cerveau, mais ne satisfaisait visiblement pas l'orgueil qui avait besoin d'écraser.
Elle soupira et commença à répondre : "C'est pour que je t'ai deman..."
La fin de la phrase était logiquement "demandé si t'avais un autre plan, pauv'c*n." mais comme une censure, l'eau solidifiée arriva en une vague puissante et la plaqua avec force contre la paroi. Elle en eut le souffle coupé et n'avait même pas eu le temps de retenir sa respiration ou fermer la bouche. Il voulait la tuer, c'était maintenant sûr et certain. En fait, il avait mis en place ce plan machiavélique et avait fait semblant depuis le début. Tout était faux, de sa chute jusqu'à cette montée des eaux. Ce n'était de toute façon pas possible d'être aussi stupide ! Il l'avait forcément fait exprès.

Elle crut un moment mourir, en effet, bloquée contre le bois, l'eau emplissant sa gorge et ses poumons, le sel lui irritant le nez et le palais. Mais peut-être qu'elle avait un peu exagéré car bien vite, elle retrouva le sol sous ses mains et ses genoux. La jeune femme recracha un peu de ce qui était resté au fond de ses voies respiratoires. C'était certes peu élégant, mais que voulez-vous faire dans une situation pareille ? Elle avait la sensation de brûler de l'intérieur et la désagréable impression que ses poumons allaient éclater. Pourtant, elle resta simplement sur le sol à reprendre son souffle comme elle pouvait, se remettant de ce traumatisme. Voilà pourquoi elle avait taper sur la glace, même si c'était vain. Elle savait par avance ce qui allait se passer et pour une fois, elle n'avait pas eu tort.

Tandis qu'elle se remettait de l'événement, l'autre commençait à annoncer une nouvelle mauvaise nouvelle. Enfin, c'est ce qu'elle devinait. Que pouvait-il bien encore y avoir ? Elle commençait à être lassée de cette journée. Elle n'avait pas eu de problème en particulier, de toute façon, partout où elle allait, elle savait se faire oublier de tous et n'avait aucun problème. Mais bizarrement, depuis quelques temps, elle croisait toujours des gens qui la mettaient dans des situations pas possibles.

Il fit planer un suspens qu'elle ne trouvait pas vraiment drôle. Ce n'était pas une trouillarde, mais elle aimait sa tranquillité. Puis, Lou entendit à son tour la musique. Elle soupira longuement. De la magie ? Pourquoi, mais pourquoi diable ce foutu rafiot avait attiré son attention ? Et quelle était la raison saugrenue pour laquelle elle avait décidé de venir y passer la nuit ? Elle ne risquait rien de plus que si elle était allée s'allonger sur la plage. Elle se redressa, restant à genoux.

"Et je suppose que ce n'est pas une bonne nouvelle." Un nouveau soupir sortit de sa cage thoracique. Assez lentement, elle se leva. "Je ne sais pas ce que t'en penses, mais je crois qu'il vaut mieux remonter." Elle s'approcha de l'encadrement de la porte avec prudence. Le sol pouvait céder de nouveau, on ne savait jamais. Elle n'était pas tranquille, ces bruits ne lui disaient rien qui vaille et elle n'était pas douée du tout en magie, tout juste en combat. En fait, elle se rendait compte qu'elle se baladait un peu partout alors qu'elle n'était finalement pas capable de se défendre correctement contre tout. Tant pis, elle avait un garde du corps, cette fois...A moins que ce soit lui, l'assassin...Non, il avait l'air d'un gentil garçon. Bon, certes, il restait un homme avec ses défauts, mais finalement, elle ne lui en voulait pas d'être un boulet.

Rassurée de voir que lui aussi était adroit avec les portes fermées, elle se contenta d'un haussement de sourcil, ne parvenant même pas à sourire. L'inquiétude lui comprimait l'estomac et lui serrait la gorge. Un instant, elle se souvint des paroles de son père, cette vieille dispute qui ne remontait pas si loin dans le temps, d'ailleurs. C'était peut-être la seule qu'ils avaient eue. Ou alors la plus "violente". Peut-être aurait-elle mieux fait de l'écouter, de ne pas jouer les têtes de mule. Elle n'en serait pas là. Mais que pouvait-on attendre d'elle ? Qu'elle se marie, ait des enfants et reste sagement à la maison sous les ordres de son cher époux ? C'était mal la connaître. Elle était bien trop détachée pour s'enchainer à des sentiments tels. Du moins, pour le moment, elle ne ressentait pas de besoin immédiat de s'installer et de materner. Même si en cet instant précis, elle se demandait si ça n'était pas parfois enviable. Mais en y réfléchissant bien, qu'est-ce qu'une telle vie aurait à lui offrir ? Des émerveillements et attendrissements de tous les jours sans pouvoir jamais découvrir la moitié de ce qu'elle voyait en se promenant comme elle le faisait au hasard et sans aucun but précis. Cette petite montée d'adrénaline et cette démangeaison au creux des reins, les regards furtifs pour se rendre compte qu'il n'y avait rien, les moments seule dans des endroits au charme mystérieux et indescriptibles...Était-ce si extraordinaire de ne pas pouvoir abandonner ce goût que son père -il ne pouvait le nier- lui avait donné depuis sa plus tendre enfance ? Et encore plus à son âge ? Comme il l'avait si bien dit avant qu'elle quitte cette fichue maison, il aurait mieux fait d'avoir un fils. Au moins il y aurait une explication rationnelle...et une réelle fierté à avoir face à cette attitude effrontée.

Elle déglutit et reporta son attention sur la situation présente. La musique se faisait de plus en plus forte, ce qui semblait logique quand on s'approchait de la source d'un bruit. C'était étrange d'entendre une mélodie d'une aussi bonne qualité dans un endroit pareil...Peut-être des gens s'y réunissaient pour jouer de la musique à la tombée de la nuit ? Il faut bien de tout pour faire un monde. Mais ici, cela semblait encore trop banal pour ne pas dire ennuyeux et rationnel. Ce n'était pas pour rien qu'on disait de ce navire qu'il était "hanté", c'était forcément quelque chose de plus glauque. Alors qu'elle cherchait déjà en jetant des coups d'oeil par-dessus son épaule un autre chemin pour s'éloigner de là -se rappelant au passage qu'elle avait pris en premier cette direction-, le jeune homme ouvrit la porte. De moins en moins rassurée, elle se rendit compte avec une pointe de soulagement que cette grande silhouette qui était passée devant elle était -non pas un potentiel bouclier comme beaucoup pourrait le penser- un certain réconfort. Elle lui rappelait qu'elle n'était pas seule et que tout n'allait pas forcément mal se passer. Pourtant, le fait de ne pas être seule l'angoissait tout autant. Peut-être le fait de ne pas avoir à se débrouiller par elle-même, devoir suivre quelqu'un ou quelque chose dont elle ne connaissait rien et se retrouver à la traine, finalement en plus mauvaise situation que si elle avait dû se glisser seule dans un coin. Peut-être aussi le fait qu'on compte sur elle pour une chose ou une autre et de ne pas être à la hauteur des attentes, tout faire foirer pour une chose mal comprise et mal exécutée...Trop de possibilités à son mal aise s'offraient pour pouvoir en choisir une.

Elle sentit un frisson glacé lui parcourir le dos. Outre le fait que ses vêtements étaient toujours aussi trempés et que ses cheveux n'arrangeaient rien, la vision qu'elle eut la laisse coite. Un mélange d'horreur, de dégoût et de fascination se peignit sur son visage, tandis que sa main fine et blanche se posait sur sa bouche entrouverte. Attitude étrangement féminine pour elle, mais il ne fallait tout de même pas tout lui ôter. Ce qu'elle voyait était...indescriptible avec des adjectifs globaux comme on pouvait en utiliser pour des situations ordinaires. Il devait pourtant bien y avoir un mot...Qui serait tellement évident qu'il en deviendrait inutile et superflu. Alors autant vous faire votre propre opinion avec le maximum que la convention littéraire peut vous offrir : une description.
La salle était plutôt vaste et pouvait en effet s'apparenter par ses dimensions à une salle de bal. Sans doute qu'à l'époque où cet immense navire voguait encore, on pouvait loger une quantité de personnes assez importante. A en juger par les parois lisses et le sol tout aussi vierges de traces de cloisonnements, elle n'avait toujours été qu'une seule pièce. Si c'était -comme il n'y avait tout de même pas beaucoup d'autres possibilités dans un coin aussi hostile qu'Umbra- un bateau de guerre ou autres activités triviales, il y avait de forte chance pour qu'une bonne partie -voire la totalité- de l'équipage y dormît. Dès lors que son état le dispensait de son utilité première, son ventre avait été transformé en terrain de jeux pour créatures en tout genre. L'assemblée colorée aurait pu être celle d'une haute société toute parée pour une grande occasion. Oui, on pouvait facilement deviner la coquetterie de chacun et la richesse des couleurs chatoyantes et des parures. En fait, si on ne jetait qu'un coup d'oeil très rapide sans prêter attention aux détails mêmes de ce rassemblement, on aurait presque pu parler d'un chef d'œuvre optique. Mais comme un malheur n'arrive jamais seul, vous vous doutez bien que la réaction de Lou et la remarque peu pertinente de son compagnon de mésaventure y étaient pour quelque chose.
Devant eux s'étalaient un festival de créatures en tous genres, des grandes, des petites, des laides, des superbes, des majestueuses et des ridicules...Toutes en décomposition plus ou moins avancée. Comme ils avaient fait du bruit en arrivant, un capitaine en costume complet et chapeau sur les genoux se retourna vers eux et tendit un doigt extraordinairement long et effilé dont l'os nu d'une blancheur vive donnait l'impression d'être une lame particulièrement tranchante, il le tendit devant ses lèvres et émit un léger "Chut" long et plutôt insistant à leur intention. Il retourna sa face mi brûlée mi mangée par les algues des profondeurs vers le spectacle, un bigorneau continuant tranquillement son ascension le long de son crâne à la peau rare, sur laquelle une ou deux mèches de cheveux très fins et abîmés par le sel et le temps. Mis à part cette vue peu ragoûtante, on pouvait, si l'on prenait en compte sa haute stature et ses épaules larges et épaisses, on pouvait donc supposer qu'il avait été plutôt bel homme de son vivant. L'élégance naturelle de ses gestes pourtant bien effacée par son état de décrépitude laissait une impression bizarre. Il conservait une présence qui ne donnait pas vraiment de s'y opposer. Il devait être un très bon capitaine très craint et respecté et tout ce qu'on veut. Oui, sans doute. Il n'était plus qu'un tas de chair trop salée, repas rare et favoris des petits et des gros poissons...Et le lieu de vacances préféré des coquillages et autres êtres vivants marins.
Si l'on aventurait le regard sur les premiers rangs devant eux, on pouvait voir, par exemple, une espèce de marin à l'arrière de la tête fracassée. Ses cheveux tout aussi rares que ceux du capitaine avait un air étrange, frisés et épais, ils partaient dans tous les sens, presque perpendiculaire à l'os. Les innombrables fissures de son crâne laissaient voir un trou béant à l'intérieur duquel on pouvait apercevoir une masse sombre et gluante, considérablement rétrécie par des animaux amateurs de cervelle à cours de nourriture. Ce restant de cerveau humain rebondissait légèrement à chaque fois que son propriétaire bougeait même imperceptiblement la tête. Cette vision qui soulevait le cœur de la jeune femme faisait en plus des petits bruits de succion à chaque fois que le restant d'encéphale se détachait un peu de son reposoir d'os pour revenir ensuite à sa place. Pourquoi fallait-il que ce soit le même cadavre qui ait cet inconvénient physique et la manie d'hocher la tête en écoutant de la musique ? Peut-être que ce bruit l'amusait ? Bref, passons...
Une ombrelle ouverte attira son attention au dernier rang. Elle était dans un sale état, mangé aux mites tout comme la longue robe de soie pourpre qui à une époque devait être d'une beauté indéniable. Des fils blancs partaient des mancherons de dentelles qui tombaient comme des loques de vieux drap fripé. Même mortes, certaines femmes continuaient d'être coquettes. Plus loin, on voyait des corps parfois en meilleur état, sauvagement mutilés par des squales ou autres bestioles, ou d'autres qui se résumaient à de simples squelettes auxquels il manquait parfois plus d'un membre. L'odeur qui se dégageait de cette assemblée hétérogène était en revanche la même partout et même un marché aux poissons aurait eu du mal à rivaliser. On s'y faisait cependant assez vite à ce parfum de marée qui fort heureusement estompait efficacement celui des chairs en décomposition.
Enfin, au bout de la salle trônait une scène improvisée et des décors réalisés avec des matériaux de récupération, mais si l'on regardait l'ensemble, c'était vraiment très bien fait. On sentait un effort d'imagination et une énergie déployée pour un soucis de vraisemblance et de donner un vrai spectacle. Le reste était déjà plus atypique. Un orchestre tout aussi hétéroclite que l'auditoire jouait à merveille avec des instruments dans un état étonnamment bon pour la majeure partie de ces derniers. Enfin, il y avait quand même un violoniste dont l'archer ne touchait pas les cordes qui pendaient dans le vide. Au centre de tout cela se tenaient deux...trois ? Bon, disons deux danseurs et demis plutôt étranges. On ne pouvait pas dire que c'était désagréable à regarder, au contraire, mais quelque chose dans leurs mouvements dérangeait. Malgré la grâce de leurs corps, leur attitude molle et et désarticulée pouvait inspirer le dégoût tout en étant belle et fascinante. Après, quant à dire ce qu'étaient ces créatures...On aurait des hommes aux bras de pieuvres, leurs pieds palmés faisaient un bruit mat sur le plancher et leur tête était masquée. Si elle avait vu ça ailleurs que sur ce bateau fantôme, elle aurait sans doute apprécié le récital à sa juste valeur. Leurs torses nus étaient clairsemés de taches de pourritures. Entre eux se dressa une...cantatrice ? C'était une...une morue ? Les écailles de sa tête luisaient à la lumière des bougies, le reste de son corps entourés d'algues noires, ce qui donnait un effet à la fois gluant et obscène. Elle avait...la gorge tranchée ? Une légère grimace de dégoût s'afficha sur le visage de Lou tandis que quelqu'un se retournait vers eux. "La porte." entendit-elle. On ne leur disait rien ? Étrange...

Elle allait ressortir quand un autre petit personnage s'approcha d'eux avec une démarche assez bizarre. On aurait dit que chacun de ses pas était vain, ils étaient innombrables et tellement rapides qu'on aurait dit qu'il ne touchait pas le sol. C'était peut-être le cas, après tout ? Il s'arrêta devant les deux jeunes, le nez un peu en l'air et avec des airs de majordome snob. Son crâne bleue et mou rebondissait à chaque fois qu'il bougeait. "Bonsoir..." Il les dévisagea tous deux. "Vous avez des invitations ?" Après une courte pause, il reprit. "Bon, ce n'est pas grave, il nous reste deux places. Voulez-vous bien prendre place ?" Euh...C'était quoi le délire ? Elle jeta un coup d'oeil vers son compagnon en espérant une réponse logique ou voir s'il y avait une conduite à adopter. Il avait l'air quand même plus au courant qu'elle. "Et fermez la porte, s'il vous plait." Il repartit dans la rangée principale vers deux sièges vides. "On fait quoi ?" demanda-t-elle à voix basse, un peu perplexe et inquiète.

Elle tentait de se détendre tandis que son compagnon de misère semblait...Elle préférait ne pas réfléchir à ce genre de détails inutiles dans ce genre de situation. Quoique, c'est plutôt bien de savoir si la personne qui est sensée être plus calée que vous en magie et compagnie (sans Max...Pardon) que vous est en train de stresser et de perdre ses moyens. Ce serait franchement bête de devoir la protéger avec un couteau -même si on le manie bien- contre des créatures qui ne craignent pas la mort. Et nous allons le répéter encore une fois, mais Lou n'y connaissait strictement rien dans tous ces trucs glaques. Enfin, sur l'aspect théorique, elle devait pouvoir expliquer certaines choses, mais son esprit ne parvenait pas à tout remettre en place et encore moins à faire de distinction nette entre certains aspects de la chose. Sans doute le manque évident de pratique y était pour beaucoup, mais on allait pas revenir là-dessus. Elle était jeune, elle aurait le temps de progresser...du moins l'occasion.

Il était gentil de vouloir paraître neutre, mais elle sentait cette affirmation presque trop sûre d'elle pour être honnête. Ou alors il était toujours comme ça ? Elle ne pouvait pas juger, elle ne le connaissait pas. Cependant, cette légèreté dans le ton se voulait rassurante et elle se dit qu'elle devrait peut-être le prendre comme ça. Comme une envie de la rassurer et lui dire de ne pas s'en faire. Mais elle allait aussi rester sur ses gardes, même si elle ne lui serait absolument d'aucune aide. Et puis, si on y réfléchissait bien, quand on disait ce genre de choses, c'était surtout pour soi-même, en premier, non ? Alors peut-être que lui aussi avait peur et que...Mais pourquoi est-ce qu'elle s'amusait à réfléchir sur son attitude alors qu'elle s'était dit dès le début que c'était une mauvaise idée dans cette situation ? Allez, on se calme et on essaie de penser positif...Non, ça marche pas, hein ?

En faisant le moins de bruit possible, elle fit un pas dans la salle, le laissant fermer la porte derrière elle. Elle avait froid. L'air était humide, étouffant. Ses vêtements encore mouillés et ses pieds nus glacés n'arrangeaient pas la situation. Qu'est-ce qui lui avait pris d'aller se tremper les pieds ? Il y avait des fois, elle méritait d'avoir une personne derrière elle pour lui filer des tapes derrière la tête à chaque fois qu'elle faisait un truc inconséquent. En même temps, pouvait-elle prévoir, une heure avant ça, qu'un jeune homme viendrait faire le clown et traverser le pont, le pied accroché à une corde ? En revanche, elle pouvait se douter que ce bateau n'était pas le meilleur endroit pour passer la nuit. Elle entendait encore et toujours la voix de son père.

Au plus ils avançaient, au plus l'odeur devenait insupportable. Certes, ce n'était pas à vomir -il lui en fallait plus pour lui retourner l'estomac- mais ça serait bien capable de lui donner mal au crâne. Jetant des regards inquiets vers la salle au fur et à mesure de leur progression, elle ne fit pas attention au majordome qui était revenu vers elle. Quand elle s'en aperçut, il tenait déjà fermement son poignet. "Je vous ai prié de me suivre, mademoiselle." dit-il de sa même voix polie et artificielle. La sensation froide et visqueuse, légèrement rugueuse à cause de l'état de cette peau autrefois lisse lui souleva le cœur. Le dégoût s'arrêta là. Elle déglutit avec peine et se rendit compte en un coup d'oeil qu'il n'était pas prêt de la lâcher. Que faire ? Que faire ? Que faire ? Que faire ? Que fai...Bon, ça va, on a compris qu'elle réfléchissait ! Sa navaja serait trop courte pour atteindre le...poulpe ? Enfin, passons...Elle se souvint avoir vu des choses accrochées sur la paroi du bateau. Sans hésitation, elle tendit la main derrière elle et tomba sur le manche de quelque chose. C'était du bois, donc ça devrait aller, même si c'était un bâton. Avec un effort, elle décrocha l'objet du mur pour...assomer le crâne mou du majordome -qui rebondit comme de la gelée- avec un balais. Un crabe d'une bonne taille se baladait au bout. Le balayeur, sans doute ? Toujours était-il que la chose l'avait lachée et qu'elle était maintenant armée d'un balais bien sale. Il avait dû servir, celui-là ! Voyant le crusracé remonter avec vélocité le long du manche, elle jeta son arme vers la porte par où ils étaient arrivés. C'était une grosse bestiole, mais facile à enjamber si elle n'est ni en train de vous manger le bras, ni de faire du tricot avec vos cheveux (rien ne vaut un bon pull 100% naturel...Hum !).

Elle sortit son arme, c'était quand même plus sûr, lame pas encore sortie pour avoir plus de vitesse pendant une éventuelle attaque ou défense. Les monstres avaient commencé à se lever et les regardaient avec des grands sourires sadiques. Mais pourquoi est-ce qu'elle était allée aider ce gars, hein ? Il avait intérêt à avoir un plan béton pour les sortir de là, parce qu'elle ne lui serait d'aucune utilité. A la rigueur de la défense pendant les quelques premières minutes où il ferait ses incantations de grand gourou, mais sinon...Il allait vite être profondément déçu. Et quand on est déçu, on est...déçu. "Je sais pas toi, mais ça ne rentre pas dans le cercle de mes compétences...Autant te le dire avant que tu ne comptes sur moi."

Heureusement qu'il ne comptait sur personne, ça lui ôtait un poids considérable. Au moins, elle savait qu'elle pouvait faire se tromper, ça ne le surprendrait pas le moins du monde et elle non plus, d'ailleurs. Si on y réfléchissait bien, peu de gens s'amusaient à compter sur elle. S'amuser, c'était le mot. Il ne fallait pas être bien net pour vouloir mettre sa vie entre les mains de Lou, à moins qu'on ne tienne pas tant que ça à sa survie ou à finir en un seul morceau. C'était peut-être être mauvaise langue. Il y avait des fois où elle savait s'en sortir, mais seulement quand il fallait faire preuve de diplomatie ou de ruse. Dès qu'il fallait lutter autrement que verbalement, c'était fini, y avait plus personne. Il faudrait peut-être qu'elle apprenne à se défendre, un jour...peut-être. Ce n'était pas vraiment la priorité. Quoique...Oh, elle verrait bien !

Cependant, elle appréciait sa franchise car elle était au moins fixée dans ce genre de situation. Et puis, ce n'était pas la vraie fille qui se vexe pour un rien et ne comprend pas la moitié des raisons pour lesquelles on dit une chose. Au contraire, elle savait parfaitement qu'on ne peut pas s'amuser à discourir dans ces moments, et en plus, elle avait une mémoire de poisson rouge pour ce genre de choses, dans cinq minutes, elle aurait oublié qu'il avait dit ça. En fait, Lou ne comprenait pas les représentantes de la gente féminine et leur susceptibilité. Non, elle trouvait que c'était bien inutile de se prendre la tête pour un rien, les paroles sont des choses qui s'envolent et qui peuvent blesser, mais ça ne sert à rien de le montrer, si ce n'est à aggraver son cas et sa situation. Elle préférait amplement la franchise, au moins c'était dit, on n'y revenait plus et on pouvait passer à autre chose. Mais pourquoi je perds du temps là-dessus, moi, vous m'expliquez ?

Elle n'eut pas le temps de réagir, elle fut entrainée comme un petit paquet avec une délicatesse toute relative, courant comme elle pouvait derrière les grandes enjambées du jeune homme dont elle ne connaissait toujours pas le nom. Au bout de quelques pas, elle trouva le rythme qui convenait, même si elle avait du mal à le tenir. Il se passait des événements dont elle ne parvenait pas à se rendre compte tellement tout allait vite et surtout vu qu'elle ne maitrisait strictement rien. Un crâne éjecté de la trajectoire à coup de poing, un corps transpercé par une pointe de glace qui sortait elle ne savait trop d'où...Si elle avait été seule, elle aurait fini en charpie. Il fallait dire qu'elle n'aurait pas pu être aussi vive. Mais elle commençait aussi à désespérer. Il finissait par la trainer derrière lui plus qu'elle ne suivait, ce qui lui faisait mal aux chevilles à force d'encaisser les chocs, et mal au bras sur lequel il tirait comme un bourrin. Pouvait-elle seulement lui en vouloir ? Absolument pas. Il était déjà bien gentil de vouloir la tirer de là.

Une porte fit enfin son apparition, et même si ça semblait une solution bienvenue, il risquait toujours d'y avoir quelque chose derrière qui pouvait s'avérer plus dangereux. Mais à quoi bon se poser des questions ? Si c'était plus horrible, la mort ne serait que plus rapide, donc leur sort serait dans un sens plus enviable à se faire déchiqueter par une horde de morts vivants puants et dégoulinant de résidus d'algues microscopiques. Comprenez-vous ? De toute façon, elle fut projetée avec une délicatesse négative sans borne, heurtant douloureusement la paroi de bois qui craqua sous son poids. Une planche se cassa en deux, les autres tinrent fort heureusement. Elle rouvrit les yeux pour voir un spectacle encore plus écœurant que l'assemblée de cadavres en décomposition. Outre le fait qu'il avait protégé la porte d'une pellicule de glace pour les protéger des...Enfin, bref, malgré cette bonne initiative, il était quand même en train de retirer un os de sa jambe et de combler le vide avec...Non, elle ne préférait plus y penser, elle était suffisamment dégoûtée comme ça. Elle comprenait maintenant pourquoi ce doux langage.

Remonter ? Elle haussa un sourcil. Elle espérait qu'il ne compte toujours pas sur elle pour l'aider à grimper, elle aurait du mal. Quoique, ça serait faisable. Les grattements lui donnaient, curieusement, mal aux dents par leur stridence. Il fallait qu'elle essaie de réfléchir, pour une fois.

"Ouais, je me suis jamais aussi bien sentie de toute ma vie. Et toi, ça va aller ?" dit-elle sur le ton le plus dégagé possible.

La pièce était...étroite, mais suffisante pour que deux personnes aient la place de ne pas se marcher dessus. Il devait faire nuit, maintenant. Une idée saugrenue lui vint alors. Elle poussa un peu sur la planche cassée, et se rendit compte qu'elle pouvait peut-être y passer sa tête pour regarder ce qu'il y avait de l'autre côté. Et ça donnait sur l'extérieur, du côté de la plage. C'était parfait. Enfin, pour le moment. Avec prudence, elle avança un peu plus son visage vers le bord de la fracture. Ses yeux allèrent d'abord vérifier qu'il n'y avait rien au-dessus qui pourrait la surprendre pendant qu'elle regardait ce qu'il y avait en dessous. Le pont avait l'air calme. Un peu trop, d'ailleurs. Et dire qu'il y avait toutes ses affaires là-haut...Bah, tant pis. En revanche, sur la plage, ça grouillait. Elle ne voyait que des mouvements peu ragoûtants sans savoir ce que c'était vraiment. Elle ne préférait d'ailleurs pas faire de supposition hâtive.

"Il n'y a rien sur le pont visiblement. Par contre on a un comité d'accueil sur la plage." Elle se tourna de nouveau vers lui. "Est-ce que ça vaut le coup de grimper là-haut, à ton avis ?" Les grattements l'irritaient de plus en plus. Les bruits se faisaient inquiétants, ce qui n'était pas pour lui plaire. Elle ne savait pas la résistance de cette couche de glace, mais elle espérait que ça soit aussi solide qu'il le prétendait.

Il en remettait une couche avec l'humour. Même s'il essayait de la rassurer, ça ne marchait pas tant que ça dans la mesure où elle ne savait pas si c'était du lard ou du cochon avec lui. En même temps, ils ne se connaissaient depuis même pas vingt minutes, c'était difficile de tout savoir l'un de l'autre comme s'ils s'étaient toujours côtoyés. Au moins, il avait le don de conserver son sens de l'humour, c'était déjà pas mal. Même si elle avouait que quand il lui avait déclaré solennellement qu'il avait faim en la regardant dans les yeux, elle avait eu un doute pendant un quart de seconde et avait failli éclater de rire, mais elle s'était retenue en se disant qu'il l'aurait peut-être mal pris.

Tandis qu'elle lui avait indiqué ce qui se passait, elle haussa un sourcil, complètement blasée et désespérée quand il l'entendit dire qu'il fallait qu'il dorme. *Bah je vais te laisser là, mon gros.* pensa-t-elle. Heureusement qu'il avait ri, sinon elle aurait vraiment pensé qu'il avait un sacré grain. En plus il parlait pour ne rien dire...Une vraie fille ! Enfin, à ce niveau-là et elle espérait pour lui que cette faculté de féminisation ne s'étendait pas à d'autres aspects de sa personnalité sinon il n'aurait plus jamais la même crédibilité. Ce que les gens qui piaillaient comme ça pouvaient l'exaspérer...Surtout quand elle était anxieuse comme ça. Elle avait envie de lui couper la langue. Mais elle avait oublié qu'elle était trop gentille pour vraiment faire du mal, aussi, elle se contenterait de le penser. Être bonne poire la perdrait sans doute un jour. Mais être un tyran lui attirerait encore plus d'ennuis.

Parler de sécurité sur ce foutu rafiot la faisait bien rire. Intérieurement. Et c'était reparti pour du blabla. Mais pourquoi diable les gens s'amusaient-ils à faire de longs discours pour ne rien dire ? (Dixit la fille qui fait une demie-page sur le mot "talent"). Surtout perdre du temps pour rien, même si en fin de compte, il essayait de lui donner des informations, il ne faisait que la stresser plus. Oui, la mauvaise foi féminine venait de frapper encore une fois. Il ne parlait pas exactement pour ne rien dire puisque sur le principe, il essayait de lui faire comprendre qu'elle était en sécurité. Oui mais puisqu'il était fatigué, ça n'était pas sûr que ça dure...Il pouvait pas répondre à sa question non de...Aaah quand même !

Elle hésitait à l'aider à se lever, elle avait cru comprendre qu'il n'aimait pas trop être aidé. Et puis, elle avait encore peur de se faire jeter, prendre pour une blonde ou autre. Elle l'aiderait en s'occupant d'elle-même, ce qui serait déjà un sacré boulot pour un boulet. Il allait l'aider ? Elle haussa un sourcil. Elle pouvait presque tomber autant de fois qu'elle voulait, maintenant ? Ouaaah ! Une énergumène comme ça peut avoir de la galanterie ? Est-ce possible ? ça existe encore, des vieux modèles comme ça ? Cessons les sarcasmes et sortons genti...

Nan mais il se fichait d'elle là ou quoi ? Il allait pouvoir grimper comme ça ? Enfin, elle verrait. Elle avait le temps de trouver une idée pour l'aider au cas où. A moins qu'il n'ait encore un autre tour de passe passe pour se tirer de là...Elle aurait voulu l'aider à se relever, mais un mâle blessé dans sa fierté est l'animal domestiqué le plus dangereux qui puisse exister et ce quelque soit le monde dans lequel on vit. Je pense que des millions de femmes seront d'accord avec moi. Merci mesdames de votre soutien. Sans attendre, elle se glissa dans l'ouverture avec quelques difficultés d'abord, puis une fois qu'elle eut trouvé des points d'appui pour ses mains, elle passa le reste de son corps, les pieds dans le vide. Après s'être servi de la planche en-dessous du trou pour se hisser plus haut, ses pieds disparurent pour continuer sa progression le long de la coque. Sauf que tous les appuis ne sont pas forcément les bons. Pas parce que ça casse, non, plutôt parce que...

Elle hurla de douleur. Elle qui ne disait jamais un mot plus haut que l'autre, elle se surprit elle-même, puis comprit que le cadavre avait réussi tout bêtement son coup. Mais allez savoir ce qui s'était réellement passé, elle avait juste entendu un "crac" en dessous d'elle et quelque chose s'était planté à mi-chemin entre l'os de sa hanche et sa taille. Il n'y eut rien d'autre. "ça va, je ne suis pas tombée." cria-t-elle à l'intention du jeune homme qui attendait son signal en cas de chute. *Pas encore...* Serrant les dents, elle parcourut le mètre qui lui restait avant la balustrade. Quand elle put poser avec soulagement le pied sur le rebord de bois, elle se laissa tomber sur le pont complètement désert. Soufflant longuement, elle se dit qu'il fallait qu'elle lui envoie ce fameux signal. Elle se redressa avec une grimace de douleur et chercha un truc à jeter...Elle trouva un bout de bois tombé au court de la super idée de son cher ami et le lança par dessus de la balustrade de sorte qu'il tombe droit face à la sortie improvisée. Il l'entendra bien tomber, de toute façon.

Une fois ceci fait, elle s'inquiéta de ce qui lui avait fait si mal. Et quand elle le vit, elle eut presque envie de rire. C'était une...épine ? Enfin, une pointe en métal d'à peine dix centimètres enfoncée de seulement quelques centimètres à un endroit tout sauf dangereux. La vieille carne avait bien raté son coup. Ni un organe important, ni un coup suffisant pour tuer. Pauvre chose. Elle le retira avec une grimace de douleur et la jeta plus loin sur le pont. Elle se rapprocha alors de la balustrade pour voir où en était son compagnon de mésaventure. Peut-être pourrait-elle quand même l'aider...Maintenant qu'elle se sentait plus en sécurité, elle se sentait plus encline à la sympathie.

Eh bien...Il s'endormait vite, le bougre. Une fois la consternation passée, son regard balaya le pont. Un espace quasiment plan et surtout désert. Rassurant, maintenant qu'elle venait de se retrouver seule. Enfin, seule, façon de parler. Elle jeta un coup d'oeil au grand corps endormi. Non, rectification : complètement seule. Mais bon, il avait bien mérité de se reposer, la magie, ça fatigue, non ? Elle n'en savait rien après tout, ce n'était pas à elle que ça arriverait de grimper à flanc de coque en utilisant de la glace. Chacun son truc. Elle soupira.

Il faisait nuit noire. Déjà ? Remarque, le jour commençait déjà à tomber quand l'inconnu était arrivé. Combien de temps étaient-ils restés à l'intérieur ? Bonne question...Elle n'en avait aucune idée. Et lui non plus, sans doute. De toute façon, il n'en avait rien à faire, il dormait profondément. Même si au final, il s'était montré gentil avec elle et l'avait aidée, elle ne se sentait pas du tout en sécurité sur le toit de l'antre des morts vivants avec un type capable de s'endormir en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Et qui ne se réveillerait sans doute pas de si tôt. Bon, il fallait quand même qu'elle fasse quelque chose. Se barrer d'ici ? Pour aller où ? La mer devait regorger de créatures en tous genres et la plage ne devait pas être plus accueillante. De plus, il dormait, ce qui voulait dire qu'il était vulnérable et pouvait-elle le laisser seul à la merci de bestioles plus horribles les unes que les autres ? Même s'il saurait sans doute très bien se débrouiller, elle avait une conscience qui lui dictait en ce moment-même qu'elle ne pouvait pas partir comme ça avant qu'il ne soit debout et lui-même prêt à partir. Et pour finir il était blessé. Elle soupira. Elle resterait là.

Elle n'avait aucune envie de dormir. Il fallait bien qu'elle surveille le reste, aussi, sinon ça ne servait à rien de rester. Bon, elle n'allait pas non plus ne rien faire pendant des heures. Peut-être parviendrait-elle à retrouver ses affaires ? Si elle ne se trompait pas, elles étaient le long de la même rambarde. La main posée sur le bois, elle commença par faire le chemin en sens inverse, du moins lui semblait-il. Après avoir évité plusieurs obstacles, son pied heurta le cuir familier et un râpé de son sac. Elle se pencha, les mains tendues en avant et trouva la bandoulière. Ses chaussures y étaient toujours accrochées. Bon, elle avait tout, elle pouvait revenir auprès du dormeur du val. Il ne fut pas dur à repérer, elle entendit sa respiration et vit la masse sombre étendue sur le sol. Lou s'assit sans bruit non loin de lui et ôta son manteau encore humide. De toute façon, il faisait trop chaud pour le garder, alors comme ça, pas de regret. Son arme retrouva sa place dans sa besace, elle coinça le vêtement dans le rabat et entreprit de remettre ses chaussures. Tant pis pour sa blessure, elle cicatriserait très bien toute seule. Et puis, ce n'était pas comme si elle était très grave.

Il se passa un long moment pendant lequel elle resta plongée dans ses pensées, jetant de temps à autre des regards autour d'elle pour être sûre que rien d'anormal n'était survenu. Son esprit vagabondait elle ne savait trop où, d'une idée à l'autre, d'un récit à une anecdote, d'une dispute à un souvenir...Il y avait même des fois où elle se demandait s'il s'agissait toujours bien de son cerveau ou s'il n'y avait pas des choses qu'elle inventait sans trop s'en rendre compte. Rester passive pendant deux heures ne lui réussissait pas du tout. Elle espérait qu'il ne dormirait pas trop longtemps, elle commençait elle aussi à fatiguer mais elle ne voulait pas s'endormir au cas où il se passerait quelque chose.

Elle allait fermer les yeux deux minutes quand un bruit attira son attention. Son cœur ne fit qu'un bond et son regard fondit dans la direction qui venait de l'empêcher de commettre une erreur. Beaucoup plus loin, elle vit une masse assez impressionnante, du moins pensait-elle, grimper sur le bateau. On aurait dit un animal, vu son comportement. La chose reniflait le sol un peu bruyamment, mais ne semblait rien entendre ni voir. Qu'est-ce que ça pouvait bien être ? Effrayée, elle se rapprocha le plus silencieusement du jeune homme et posa une main sur son épaule. Elle le secoua doucement. Elle espérait que ça suffirait. Elle insista légèrement plus, au cas où. Il allait encore râler, mais tant pis. Mieux vaut prévenir que guérir. "Réveille-toi. Il y a quelque chose sur le bateau."

Alors que la chaussette dansait avec le haricot magique au lieu du nain de jardin qui, pour purger sa peine, se remplissait le litron à côté du bar, Nissa, la carotte géante se curait les dents au dessus de l'évier lorsque, à la surprise générale, la lumière s'éteint dans les toilettes, provocant la manique dans le petit peuple. Alors un tr...


Il cligna des yeux, incertain encore de ce qui se passait autour de lui. Il fallait avouer, pour sa défense, qu'il était dur de revenir à la réalité lorsque, dans l'unique but - et chevaleresque - d'aider blanche neige, la princesse du champs de citrouille, à rejoindre son âme sœur, à savoir une fourchette à cinq dents naine, il s'était fait piéger par une bande d'épinard lilliputiens cherchant à dominer le monde. Surtout lorsque, au sortir de cette aventure pour le moins née d'un cerveau de morfale, il se retrouvait sur ce fameux navire fantôme bondé à craquer de vampire, zombies, esprits malins et d'autres horreurs qu'il vaut sans doute mieux ne pas mentionner.
Bref, notre charmant garçon finit donc par s'adapter à la pénombre ambiante ainsi qu'à la dure réalité des choses et c'est ainsi qu'il remarqua la présence incongrue d'une chose innommable qui tentait subrepticement de se rapprocher.

Il se redressa d'un bon, fixant l'ombre dans les ténèbres, une masse assez impressionnante qui montait à bord. Et loin de le rassurer, cela le paniqua un peu plus. Il saisit en vitesse la main de sa compagne de fortune - bonne ou mauvaise... - et, optant à nouveau pour le mode "sac à main" (pour éviter toute sorte d'expression moins délicate), ils s'éloignèrent de la chose.
Mauvais réflexe, bien évidemment. Mais qui peut lui en vouloir, à trois heures du matin, d'être un peu endormi ?
Le truc sembla les repérer, levant soudainement... ce qui devait lui servir de tête, et se dirigeant vers eux à une vitesse fulgurante.
Pour être franc, alors que seule la lune brillait faiblement dans le ciel noir d'encre, il était incapable de décrire physiquement ce qui lui faisait face. Mais l'odeur se suffisait à elle-même. Si la puanteur de l'orchestre avait été insupportable, il du à grande peine se retenir de vomir - étant toujours très rapiat, surtout en ce qui concerne la nourriture... - en s'éloignant vers les cordages les plus proches du bateau. Ensuite, pour ce qui était de ses autres sens... Tous lui rapportaient la même chose, des bruits de succions monstrueux aux craquements sinistres du navire, des mouvement fugaces dans les cieux nocturnes... : cette chose était énorme. Presque trois mètres de hauteur. Quand à la largeur... Indéfinissable. Mais rien qui ne lui donne envie de rester bêtement là à... regarder.

- Bon, grimpe comme tu peux mais ne lâche surtout pas !

Il saisit la jeune femme et la posa en vitesse sur les cordes, puis chercha lui même une prise pour s'élever dans les airs. Son idée première lui paraissait moins stupide avec une chose monstrueuse à ses trousse. Sauf qu'il avait été trop lent. Elle frappa. Il n'aurait su dire avec quoi puisqu'il entendit plus qu'il ne vit le coup arriver. Il se décala juste assez pour qu'il passe à côté. Une série de craquement lui fit déduire qu'elle avait coupé les cordes.
Conscient qu'ils ne tarderaient pas à y passer si ils ne trouvaient pas une solution en vitesse, il fit la seule chose qui lui traversa l'esprit. Loin d'être la plus subtile. Il sauta pour s'agripper aux bouts de cordes restants, reliés au mat, esquivant du même coup une nouvelle attaque. Ce faisant, il lança une partie de ce qu'il avait de puissance pour déséquilibrer le navire (une histoire de densité de l'eau...). Pas trop difficile. Il se retrouva un moment suspendu au dessus des flots à battre stupidement des jambes puis repassa par dessus le bastingage et se mangea délicatement le mat en pleine figure, ce qui, ajouté aux soubresaut du navire et à l'absence de soutient, valu à ce dernier de céder, emmenant tous le cordage par dessus bord et le jeune elfe avec. Il dut admettre avoir été un peu surpris par les évènements lorsque, battant des paupières, il fixa nez à nez un poisson noir qui était sans doute aussi étonné que lui.
Il leva la tête pour observer la surface de l'eau, loin au dessus, puis, comprenant enfin d'où venait le dérangeant sentiment qui lui étreignait la poitrine, il se souvint qu'il n'était pas seul, à la base et se mit en quête de retrouver la disparue, en priant pour qu'elle ne soit ni coupée en rondelle, ni morte noyée, ni bouffée par un zombie géant, ni écrasée par un mat, ni...

- Gloubougl. [à traduire pas : "mauvais plan"]

Elle fut assez surprise de le voir si tôt sur ses pieds. En fait, elle ne savait pas vraiment à quoi elle s'attendait. Elle fixait juste cette chose qui continuait d'évoluer avec difficulté sur le pont, dégageant des nuages d'odeurs nauséabondes. En réalité, l'esprit de la jeune femme était tellement paralysé par la peur qu'elle se focalisait seulement sur les éventuelles solutions utilisables dans ce cas-là, et son cerveau avait momentanément laissé ses sens de côté. Mais pour être honnête et elle en était plus que consciente : elle ne savait pas quoi faire. Cependant, allez savoir pourquoi, elle se dit que c'était inutile de le signaler à son compagnon d'aventure...De toute façon, il venait de manquer de lui arracher le bras en la trainant derrière lui façon sac à patates. Elle avait attendu une réaction de sa part, mais elle ne pensait pas que ça serait si douloureux. Elle n'allait pas non plus se plaindre qu'il la sorte de là, même si la discrétion aurait été de mise. En fait, elle aurait mieux fait de l'empêcher de faire cette connerie, mais elle avouait qu'elle n'avait pas non plus été assez vive et que vue ses capacités...Il avait mieux valu sur le principe s'écraser. Sur le principe...

La surprise revint lorsqu'il la souleva après une vague indication dite sur un ton ma foi presque agréable et une recommandation tout ce qu'il y avait de plus...banale ? Bref, il devait sans doute être encore fatigué pour faire preuve d'une telle bonté d'âme. Ce serait tout de même de mauvaise foi d'autant noircir son esprit, alors nous corrigerons plutôt en disant qu'il faisait preuve d'une amabilité commune pour un être civilisé ordinaire. Peut-être qu'il s'était dégelé maintenant qu'il la connaissait ? Non, ce devait juste être une question d'instinct. Oui, voilà, de l'instinct basique.

Lou obéit sans se faire prier, agrippant naturellement les cordages pour commencer à se hisser le plus rapidement qu'elle le pouvait. Elle n'avait jamais été particulièrement agile, pas plus qu'une autre fille de son âge, mais quand il s'agit de sauver sa peau, on a parfois des réactions extraordinairement adaptées à la situation sans même qu'on le calcule. Les miracles de l'adrénaline. Un craquement inquiétant se fit entendre et elle sentit un vertige la saisir tandis que la corde sur laquelle elle était s'approchait dangereusement du mât. Sans même pouvoir réagir, elle le heurta, amortissant le choc avec son épaule. Il ne fallait pas lâcher, non, pas lâcher. Le monsieur le lui avait dit, non ? Mais c'était surtout qu'une fois sur le pont, qu'est-ce qu'elle ferait face à cette chose.

Elle rouvrit les yeux et le vit dans la même situation qu'elle, accroché à une corde, un peu plus bas. Elle entreprit de grimper encore un peu, le plus qu'elle pourrait, en fait, tant pis pour la douleur. Et pourtant, ce n'était pas faut d'avoir mal...mais c'était ça ou mourir et elle avait une farouche envie de survivre qu'elle ne se connaissait pas. C'est fou comme se retrouver devant le fait accompli peut vous changer du tout au tout sans que vous sachiez pourquoi. Et cette saleté continuait d'attaquer, elle l'entendait. Et dire qu'il l'avait hissée là avant même de le faire lui-même. Si elle avait eu plus de temps pour s'attarder là-dessus, elle l'aurait remercié et aurait peut-être trouver ça héroïquement digne d'un de ces vieux contes de fées ou de pirates à trois sous où la jeune demoiselle est secourue par le gentil qui va terrasser le monstre avec son sabre ébréché ou son super pouvoir de la mort qui tue. Bref, il serait grandement remonté dans son estime sur le moment si elle n'était uniquement focalisée sur sa survie. Elle y repenserait plus tard, considérerait tout avec du recul et le trouverait sans doute encore plus agréable et cela changerait les jugements qu'elle aurait pu émettre sur lui depuis le début de cette rencontre étrangement et rocambolesque. En fait, une fois qu'elle pourrait se souvenir de tout à tête reposée, elle pourrait enfin dire ce qu'elle pensait clairement de lui. Pour le moment, elle se disait seulement qu'une fois arrivée en haut, elle ne savait pas quoi faire. Peut-être dévier sur les autres cordages ?

Elle n'eut pas le temps de réfléchir plus longtemps, elle sentit le bateau tanguer dangereusement, mais dans un réflexe, elle entoura le mât avec un bras et une jambe, les deux autres enroulées autour de la corde pour conserver ses deux points d'appui. Dans cette position fort élégante pour une jeune femme, elle se demandait si elle allait finir à la flotte dans les bras de la morue chantante ou si avec un peu de chance, le rafiot reprendrait sa place initiale et ne bougerait plus. Ce qui se réalisa, il revint à peu près droit. Son compagnon d'infortune fit un merveilleux vol plané entrainé par la corde et s'écrasa contre le mât. Tandis qu'elle se demandait comment cette chose tenait encore debout avec tout ce qui lui arrivait, elle eut une réponse qui ne la ravit cependant pas tant que cela : il ne tenait plus. Sentant à nouveau ce vertige dû au vide qui se pressait sous elle pour réduire la distance avec la matière, elle ferma les yeux, se préparant à se prendre le plus beau plat de sa vie et peut-être même de la décennie. Par un miracle qu'elle ne s'expliquait pas, alors qu'elle avait tenu jusque là parfaitement contre le bois à la verticale, elle se retrouva les mains vides à tomber seule. Le contact avec la mer fut plus rude qu'elle ne le pensait. C'était comme si mille mains avaient attendu pour la frapper à ce moment précis. Un peu sonnée, elle voyait son corps attiré vers les profondeurs. Il paraît que ce n'est qu'une question physique de force et de vitesse, quelque chose de somme toute tout à fait ordinaire.

Elle se sentait flotter de plus en plus en loin, aussi bien physiquement que mentalement. Elle ne savait plus trop où elle était, mais son corps continuait de descendre lentement, lentement...de plus en plus lentement, en fait. La fraîcheur de l'eau était agréable et apaisait la douleur. Le silence tout autour était d'or. En fait, rien n'annonçait quoique ce soit de dangereux, il y avait toutes les raisons de croire que l'on était en sécurité, enfermé dans ce silence ténu et presque rassurant. Elle ouvrit les yeux et vit la surface danser avec quelques rayons de lune pour lui rappeler qu'il y avait bien une atmosphère au-dessus de tout ça. Son esprit était encore un peu embrumé, l'arrière de son crâne lui faisait encore un peu mal à cause du choc qu'elle avait pris en percutant la surface. Que devait-elle faire ? Se laisser entrainer ou remonter pour respirer ? Elle avait toujours entendu dire que les morts par noyade étaient les plus affreuses, Mais personne n'était revenu pour le dire, non ? Est-ce qu'on s'endormait et qu'on ne se réveillait plus ? Ou est-ce qu'on ressentait une atroce sensation d'étranglement et un besoin pressant de remonter à l'air libre sans pour autant y parvenir ? Elle n'était pas très loin de tout ça, remonter était encore faisable, mais fallait-il encore qu'elle le fasse...Encore un instant ? Oui, attendre encore juste un instant, un tout petit. Bercée par ces courants invisibles et pourtant presque palpables, voir ces petites formes noires presque onduler avec une facilité quasi rageante. Pouvait-on encore faire durer ce petit instant de calme ?

Elle sentit quelque chose la saisir par le poignet. Elle ne savait pas ce que c'était mais ça l'attirait doucement vers le fond. Une peur se présenta d'un coup dans ce moment de paix. Mourir à moitié mangée par les poissons et terminer comme cette salle écœurante qu'elle avait vue plus tôt ? Mourir tout court, d'ailleurs ? Non, certainement pas. Ce serait trop douloureux, ce serait perdre trop de choses pour accepter de disparaître maintenant. Elle n'avait pas peur de cette chose en elle-même, de ce qu'il y avait autour ou de quoi que ce soit de matériel. Elle avait simplement peur de mourir d'autant que ça serait drôlement bête dans un moment pareil. Et puis, tout ce qu'elle avait fait pour survivre depuis qu'elle était partie de chez elle pour finir par se dire que oh ! un courant frais, que c'est confortable, je m'endormirais bien un peu, non, il en était hors de question. C'était le moment où jamais d'utiliser le peu de nerfs qu'elle avait pour se sortir de là. Elle dégagea sa main de cette prise qui lâcha sans résister et Lou nagea jusqu'à la surface. Respirer fut un soulagement qu'elle ne soupçonnait même pas d'exister. Elle n'était restée sous l'eau que très peu de temps, en définitive, mais elle avait l'impression d'être restée sans air pendant des siècles. Elle regarda autour d'elle. La carcasse du mât flottait un peu misérablement, masse sombre qui provoquait des clapotis irréguliers à cause des cordes. Elle ne voulait pas savoir pourquoi il n'avait pas coulé, si elle pouvait s'appuyer dessus le temps de se reposer.

Alors qu'elle allait nager vers le rassurant morceau de bois, elle se rappela qu'elle n'était pas seule et que même si elle ne lui était pas d'une grande aide depuis le début, elle se devait de vérifier qu'il n'avait rien. Pour le moment, elle ne le voyait pas. Elle n'était pas une excellente nageuse, mais si elle pouvait essayer de le ramener à la surface -si tant est qu'il en est besoin- elle pourrait essayer de faire quelque chose, non ? Peut-être qu'il était déjà remonté. Si elle avait su son nom, elle aurait pu tenter de l'appeler, mais là, c'était s'attirer d'autres ennuis. Elle scruta l'obscurité. Aucun mouvement prêt de la surface, elle décida de retenter les profondeurs accessibles à ses faibles capacités. C'était difficile sans la lumière du soleil, mais à force de regarder dans toutes les directions, elle crut voir une silhouette humaine. Il n'était pas très loin, du moins, d'après ce qu'elle croyait. Avec toute la méthode dont elle était capable, elle nagea jusqu'à lui et fut soulagée de le reconnaitre, même de côté. Elle retint un sourire soulagé pour ne pas perdre son air en se disant que l'eau était son élément, après tout. Elle s'approcha suffisamment et posa une main sur son épaule. Il avait les yeux ouverts c'était déjà bon signe. Lou désigna avec son main la surface en la pointant d'un doigt comme pour lui demander de remonter. En fait, c'était presque un ordre, elle savait très bien que sa capacité pulmonaire n'excédait pas des temps records.

Mais Raymond le poisson n'avait évidemment cure de nos aventurier puisqu'ils ne lui remplissaient pas le gosier (notez les rimes). Ainsi donc, notre bon ami prit la fuite à grand coups de nageoire tandis qu'Elio parvenait enfin à localiser la jeune femme, un peu au dessus de lui à la surface de l'eau. Elle nageait, donc tout allait bien. Tout à sa réflexion très poussée sur la situation actuel, il s'avisa que la caresse des courants marins et le silence marin faisaient de ce monde aquatique un véritable paradis. Il observa la surface, ses yeux dérivant lentement vers les quelques rayons lunaires qui fendaient la surface de l'eau, laissant son esprit se prélasser au rythme de la mer pourpre qui, cette nuit là, avait mit son plus brillant manteau violacé.
Il faillit fermer les yeux lorsqu'un mouvement capta son attention. Il adressa un regard interrogatif à la petiote qui en était à l'origine. Elle s'agitait dans tous les sens comme si elle voulait lui dire quelque chose. Ne pouvait-elle pas simplement parler pour se faire comprendre ? Quelle andouille aussi. Pourquoi les femmes avaient-elles un esprit aussi tordu ? Son cerveau fit un effort d'ultime concentration pour comprendre la signification de tout ce baragouinage sous-marin. Le résultat de la traduction n'était pas terrible mais il fallait dire que la clarté de l'expression était loin d'être parfaite.
"La surface". Un truc dans le genre. Il devait manquer un verbe quelque part. Mais où ? "est jolie" ? Peut-être. Mais elle avait l'air drôlement paniqué pour faire ce genre de remarque. "est bizarre" peut-être. Elle devait avoir des hallucinations. C'est fou comme le manque d'oxygène pouvait...
Il cligna des yeux, menant son raisonnement jusqu'au bout. Lui pouvait sans peine respirer sous l'eau - phénomène étrange dont il ne connaissait pas la provenance- mais le commun des mortels était loin de partager son sort. Peut-être qu'elle devait commencer à suffoquer un peu. Il lui adressa un grand sourire et commença son ascension sans esquisser un seul geste. Si bien qu'il se retrouva finalement assit à la surface de l'eau, en compagnie de son habituel sac à main. A ceci prêt qu'il ne la tenait plus physiquement, se contentant de la maintenir au-dessus de l'eau en rendant, sous leur pieds - ou ses fesses - cette dernière aussi dense que de la roche. Ayant repris son calme et son ton dénué de tous sentiment, il lâcha :

- Fait gaffe en marchant, ça glisse... On se rapproche de la falaise tout là-bas, puis on grimpe et on trouve un endroit assez calme pour dormir et manger un bout. Des réclamations ?

Il n'écouta même pas la réponse et, s'élevant de quelques centimètres au dessus de la surface de l'eau avant de se diriger par lévitation jusqu'au lieu dit, assit en tailleur avec une fine couche gelée sous son arrière train, il observa la jeune femme avec un sourire moqueur.

- Dépêche toi, tu traînes...

Maintenant, le principe, c'était de durcir l'eau AVANT qu'elle ne pose le pied dessus. Et, vu son instinct joueur, c'était beaucoup plus difficile à dire qu'à faire. Il manqua plusieurs fois de céder à ses envies pas forcément amusantes pour tout le monde... Jusqu'à la presque fin du moins... Et après une blague, pareille, dur de ne pas éclater de rire. Trop pour lui.




[scuse moi, ça n'a rien à voir avec ton pavé mais bon x) ça commence à faire dur de mettre de l'action]