Je ne savais pas du tout ce qui s'était passé ! Enfin, disons plutôt que je m'en doutais, mais que j'étais loin de penser que cela pouvait se passer ainsi... Qui avait été cette jeune femme mystérieuse ? Je ne doutais point qu'elle fut une sorte de divinité ou d'esprit. Son aura, son apparition, ses mots, jusqu'à l'impression même qu'elle dégageait... D'un certain côté, elle s'était montré amicale. Mais de l'autre ! N'était-ce pas effrayant de savoir qu'il existait en ce monde des êtres doués de tels pouvoirs ? Quelle force d'esprit il fallait pour ne pas s'en servir avec abus et cruauté... Je savais que les elfes aussi avaient leurs tentations et leurs vices. Il n'y avait pas une race ici qui n'avait un jour eu son lot de trahisons, et même chez les Luciniens on recherchait parfois la puissance pour elle-même. C'était là une malédiction bien profonde, celle de la vie, de la survie même... Un instant, je me remémorais les paroles qui m'avaient été adressées.
"Mettant ainsi en péril le trésor de ce monde."
Lequel ? Le mien, Lucina, ou celui-ci qui, je devais l'admettre pour le moment, Harmonia elle-même ? Au fond, ça n'avait pas d'importance. Je m'étais fixée une tâche, défendre tous et toutes face au mal... Et assurément, c'était sur ces terres que l'on requérait ma contribution, aussi modeste puisse-t-elle être.
Je regardais tout autour de moi, désemparée. Des monolithes se dressaient à perte de vue, vestiges improbables de je ne savais quelle peuplade superstitieuse... Et pourtant, un léger brouillard flottait en ce lieu, comme si un dieu quelconque avait placé ici un voile nimbé de mystère et de secret. Je me demandais si j'étais en danger ici : allais-je commencer à offenser un culte ou un autre ? Un jour on m'avait dit que la religion était une gangrène qui flétrissait l'âme et étrécissait l'esprit. Je n'avais jamais cru à cela, car je savais bien que les dieux existaient et qu'il n'était pas possible de les ignorer. Pourtant, la foi était dangereuse, surtout pour ceux qui ne la partageait pas.
Je décrochais mon arc et en enlevais la bandoulière. Je fouillais ensuite dans une bourse pour en retirer la vraie corde, dans laquelle je fis glisser les extrêmités de l'arme. Plissant les yeux, je m'efforçais de détecter une quelconque présence. Apparemment, j'étais ici seule... Je posais la main sur une pierre toute proche, éprouvant la curieuse sensation qu'à défaut d'être vivante, elle possédait une conscience propre, cachée et enfouie mais bien là. Je secouais la tête en signe de dénégation, puis me mis à marcher droit devant moi, curieuse malgré tout...