[Quête Héroïque n°6] Pour un Château de Sable [Terminée]

A mesure que la nuit tombait sur le Désert Sombre, un silence pesant s’installa sur ses sables qui étaient malheureusement toujours aussi brûlants que le jour.
Pourtant la vaste plaine recouverte de sable n’était pas vide de vie, bien au contraire.
Là, sous la protection d’une crête rocheuse, une caravane élevait ses tentes et, dans le lointain, on pouvait entendre un rugissement permanent, comme si une créature particulièrement monstrueuse grondait sans discontinuer pour effrayer les imprudents qui avaient eu la mauvaise idée de s’aventurer sur son territoire.
Mais les hommes et femmes à la peau mate dans leurs tenues chamarrées semblaient habitués aux caprices de ce désert aride et presque se moquer de ce rugissement inquiétant qui résonnait au loin.
Bien vite, des feux s’allumèrent aux quatre coins du campement pour lutter contre les ténèbres d’Umbra, des odeurs alléchantes de viande grillée et d'épices s’élevaient dans l’air, se mêlant au parfum du sable qui les entourait tandis que d’un feu à l’autre, on entendait parfois des rires et quelques notes de musique ponctuées les discussions.
Le chef de cette caravane familiale, de ce clan, Amar, se tenait assis autour d’un feu de camp un peu à l’écart, entouré de ses nombreux enfants mais l’ambiance était nettement plus calme.
Pour cause, ils avaient une invitée parmi eux, une femme entièrement drapée de blanc qui se tenait silencieusement face à lui, contemplant seulement les flammes, comme si elle essayait d’entrevoir une vérité qui lui échappait à travers elles.
Le bédouin se décida à rompre le silence qui commençait à devenir pesant, à tel point que ses enfants n’osaient plus jouer de crainte de les déranger, et il adressa un sourire à la jeune femme.

- En tous cas, c’est une chance que vous ayez croisé notre chemin. Avec toutes ces créatures que chasse le Monstre des Sables, nous n’en serions jamais sortis vivants !...

Le Monstre des Sables… C’était le nom que les habitants d’Umbra à une gigantesque tempête de sable qui sévissait depuis des jours.
De mémoire d’ancien, jamais on n’en avait vu une si importante mais le problème n’était pas là.
Certes, sa taille était impressionnante, ses vents étaient d’une puissance inégalée jusqu’alors mais ce qui inquiétait jusqu’aux pontes de Tenamas, c’était qu’elle ne donnait aucun signe d’apaisement.
Cela devenait une véritable catastrophe dans tout le Désert Sombre, les villages qui survivaient péniblement auprès des rares oasis n’étaient plus approvisionnés et leurs habitants devaient fuir la famine qui les guettait.
Mais plus grave encore, les créatures les plus hostiles qui habitaient désormais sous ces sables, prêt à sauter à la gorge de tous ceux qui se jetteraient entre leurs griffes, étaient elles aussi chassées du désert et déferlaient en masse sur les villes entourant le Désert Sombre, causant un chaos inégalé jusqu’ici.
Courageusement, Amar et son clan avaient pris la route dans le désert afin de venir au secours de leurs concitoyens et avaient défié la tempête de sable en la contournant.
Mais c’était bien sûr sans compter sur les monstres obligés de fuir leurs terrains de chasse habituels et sa caravane s’était retrouvée encerclée par des Galopins par dizaines, jamais il n’en avait vu autant de toute sa vie.
Leurs armes et la magie des membres de son clan n’y faisaient rien, ils étaient trop nombreux, ils n’en viendraient jamais à bout !...
Mais brusquement, alors qu’il pensait que tout était perdu, une onde glaciale déchira le vent chaud du désert et le Galopin qui s’apprêtait à lui fracasser le crâne avec une masse s’effondra sur lui, le corps transpercé de part en part par une flèche de glace translucide.
Des gémissements de douleur retentirent de part et d’autre du champ de bataille qu’était devenue sa caravane, une pluie de flèches de glace semblait s’être abattue sur plusieurs des Galopins, bras et jambes transpercés de ces traits cristallins ou terrassés sur le coup fatal qui leur avait été asséné.
Le combat sembla brusquement se suspendre un instant et tous les yeux, humains ou non, se posèrent sur une silhouette tout de blanc vêtue, son visage dissimulé par le manteau à capuchon qu’elle portait, dont le tissu de son manteau claquait dans le vent du désert.
Deux petits dragons aux écailles bleues rutilantes voletaient à coté d’elle et ne lâchaient pas les galopins du regard.
Sa voix, mélodieuse et féminine à n’en pas douter, s’éleva, assez forte pour parvenir jusqu’à eux depuis la dune où elle se trouvait.

- Des Galopins… Je sais que vous comprenez ce que je dis !... Disparaissez sur le champ… Ou bien vous le regretterez !...

Amar était stupéfait, jamais il n’avait vu quelqu’un s’adresser de la sorte à ces créatures mais manifestement l’étrangère avait raison, les Galopins semblaient très bien comprendre sa mise en garde.
Plusieurs d’entre eux contemplaient les corps de leurs frères inertes ou bien les blessures sanglantes de leurs comparses mais une sorte de grondement parcourut bien vite les plus hardis d’entre eux.
Une sorte de borborygme semblable à un cri de guerre jaillit de la gorge des monstres et ils lâchèrent les humains qu’ils avaient à leur merci pour se ruer vers l’apparition immaculée au milieu des sables rouges du désert.
Celle-ci baissa la tête alors que la petite horde escaladait la dune pour l’atteindre, elle semblait dépitée devant une telle bêtise.

- Vous l’aurez voulu !...

Les deux petits dragons bleus se rapprochèrent d’elle et de nulle part, une masse d’eau cristalline apparut en suspension devant elle.
Sous les yeux stupéfaits d’Amar et de son clan, elle sembla se cristalliser en un instant et se diviser en une masse impressionnante de flèches acérées et translucides.
Les Galopins comprirent trop tard que leur erreur serait fatale, les flèches fusèrent en un instant droit vers eux, comme tirées toutes en même temps par des mains et des arcs invisibles.
Une dizaine de corps chuta brutalement dans le sable et se mirent à dévaler la dune, morts avant d’avoir atteint sa base.
La terreur se lut aussitôt dans les yeux des Galopins restants, littéralement gelés jusqu’à l’âme devant un tel prodige.
Un vent froid irradia le champ de bataille, faisant frissonner bédouins et monstres, et la voix de la magicienne blanche résonna dans le désert tandis que ses pupilles écarlates toisaient les créatures avec dureté.

- Je ne me répéterai pas !...

Des glapissements de frayeur retentirent parmi les Galopins et, alors que l’inconnue levait à peine la main, ils firent volte-face pour s’enfuir dans le désert sans regarder derrière eux.
C’est tout juste s’ils prirent la peine de ramasser leurs blessés avant de disparaître sans demander leur reste.
Amar n’en revenait pas d’être encore en vie, il se releva péniblement tandis que son clan se rassemblait autour de lui.
Ils avaient des blessés mais l’intervention de la magicienne blanche avait sauvé leurs vies, c’était un véritable miracle.
Les conversations qui avaient toutes lieu en même temps donnaient lieu à un véritable tintamarre mais elles s’éteignirent toutes en même temps quand l’apparition fit mine de descendre la dune dans leur direction.
Les petits dragons qui l’accompagnaient semblaient avoir disparus mais elle tenait une dague aussi blanche qu’elle-même en main.
Le vent semblait obéir aux ordres de son arme, lentement, là où elle passait, il engloutissait les corps inertes des Galopins, les faisant disparaître comme s’ils n’avaient jamais existé.
En quelque sorte, elle rendait un service funèbre à ces créatures, les rendant aux sables qui les avaient vus naître, alors qu’elle aurait tout aussi bien pu les laisser pourrir là et attendre que les charognards les fassent disparaître.
Ce n’est que lorsque tous les Galopins eurent disparu et qu’elle parvint à la hauteur des bédouins qu’elle rengaina sa lame.
Amar et sa famille purent alors constater avec stupeur à quel point celle qui venait de les sauver semblait jeune, en dépit des mèches blanches qui s’échappaient de son capuchon et de la débauche de pouvoirs magiques dont elle venait de faire preuve.
A nouveau, sa voix mélodieuse s’éleva dans le silence respectueux des bédouins à son approche.

- Je m’appelle Serena. Avez-vous des blessés ?...

Le chef de la caravane eut un sourire rêveur quand une pluie d’étincelles venant d’une bûche qui craquait l’arracha à ses souvenirs de l’après-midi.
Il reposa ses yeux fauves sur la magicienne blanche qui se tenait calmement assise face à lui, toujours drapée dans son manteau immaculé pour se protéger de la chaleur étouffante du désert.

- Je ne saurais jamais assez vous remercier de nous avoir sauvés, moi et toute ma famille. Mais que faisiez-vous seule au milieu de ce désert ?

Le regard écarlate dissimulé sous le capuchon blanc sembla s’assombrir à cette question alors qu’il reflétait les flammes du feu de camp.

- J’ai appris la nouvelle de cette tempête de sable en me rendant à Tenamas. Dans toute la ville, on ne parle que de ça…

Amar se mit à caresser sa barbe épaisse tout en se tournant vers le rugissement qu’ils entendaient au-delà de la crête qui protégeait leur caravane.

- Plus d’un sorcier a été envoyé de la capitale pour essayer de mater le Monstre des Sables depuis son apparition. Aucun d’entre eux n’a réussi !...

Un léger sourire se dessina sous le masque qui protégeait le visage de la jeune femme des sables du désert, quelque chose semblait remuer sous le tissu de son manteau en direction de son col.

- Eh bien, je n’aurais plus qu’à réussir là où ils ont échoué !...

La magicienne blanche s’interrompit un bref instant, la tête emplumée d’une petite chouette harfang jaillit soudain, clignant ses grands yeux dorés comme si elle comprenait parfaitement petite maîtresse.
Le sourire de celle-ci s’agrandit en voyant que sa fidèle compagne ne la quittait plus du regard comme si elle saisissait chacune de ses paroles.

- Pas vrai Tsuki ?...

La jeune chouette piailla en signe d’assentiment, elle suivrait Serena partout, même si c’était pour affronter la plus terrible tempête de sable de tous les temps.

Serena partagea le repas que les bédouins avaient préparé en son honneur et elle se glissa dans la tente qu’ils lui proposaient afin qu’elle prenne un peu de repos.
Mais la Gardienne ne se reposa guère, elle avait sa petite idée sur la manière d’enquêter sur le Monstre des Sables comme ils appelaient cette tempête extraordinaire qui s’abattait sur le Désert Sombre.
Il était évident qu’il ne s’agissait pas là d’un phénomène climatique naturel et Amar n’avait fait que confirmer cet état de fait en annonçant que les sorciers envoyés par Tenamas n’avaient rien pu faire contre lui.
Cela voulait donc dire qu’une volonté extérieure était à l’œuvre, la question n’était plus seulement de mettre un terme à cette tempête de sable mais de savoir qui ou quoi se cachait derrière ce phénomène.
Tendrement, la magicienne blanche caressa la petite chouette aussi immaculée qu’elle-même.

- Allons voir ce qui se cache là-bas Tsuki !...

Sans attendre l’assentiment de sa petite compagne, la demi-Sélène déploya ses ailes blanches et prit son essor dans le ciel nocturne d’Umbra.
Elle n’aimait guère ce monde de ténèbres et les mille dangers qu’il recelait, mieux valait donc survoler ces sables presque aussi chauds le jour que la nuit plutôt que de tenter le diable en les parcourant.
La Gardienne ne tarda pas à rencontrer des rafales de sable portées par le vent qui s’engouffrait de plus en plus violemment dans ses ailes blanches et, à la lueur de la Lune, elle découvrit ce que tous nommaient le Monstre des Sables.

Une gigantesque tornade, si violente et si chargée du sable qu’elle transportait, qu’elle semblait noire et opaque.
Le mugissement du vent était si grave et si ronflant à la fois qu’elle avait l’impression qu’un monstre colossal était en train de rugir pour défendre son territoire.
La demi-Sélène protégeait son visage comme elle le pouvait des jets permanents de sable et luttait contre les vents qui tentaient de la jeter au sol comme pour mieux l’engloutir ensuite.

- Je dois voir ce qui se cache à l’intérieur !... Mais comment ?...

Pour une fois, la Lucinienne regrettait presque les pouvoirs magiques qu’elle possédait, aucun d’eux ne semblait pouvoir lui permettre de percer ce tourbillon noir, forteresse de sable destructeur et de vents déchirants.
Ses ailes risqueraient de se briser comme des brindilles dans des vents aussi puissants, elle manquerait d’oxygène et perdrait connaissance si elle se laissait emporter et rien ne disait qu’elle serait aspirée à l’intérieur.
Bien au contraire, elle risquait d’être aspirée un bref moment, bringuebalée comme dans une vulgaire chemise dans un lavoir puis projetée au loin dans les sables du désert, inconsciente et à la merci de n’importe quelle créature malveillante.
Alors que sa petite chouette harfang gémissait d’inquiétude, un éclair de lucidité traversa son regard écarlate qui luisait sous la Lune.

- Peut-être que…

Mais alors qu’une solution lui apparaissait, le sable en-dessous d’elle sembla littéralement exploser !
Avant que la magicienne blanche puisse faire le moindre geste, une main de pierre la saisit à la cheville, la tira de toute sa force et lui fit percuter avec violence le sable brûlant du désert.
Serena poussa un gémissement de douleur, manquant de peu de prendre conscience tant le choc fut violent, seul son instinct de survie et les piaillements de Tsuki lui permirent de résister aux ténèbres qui menaçaient de s’abattre sur elle.
Une lueur blanche l’entoura doucement, soignant les meurtrissures et autres blessures qu’une telle attaque aurait pu générer.
Quand sa vue trouble reprit son acuité habituelle, elle devina à la lueur de la Lune un Etre de Pierre qui la tenait fermement par sa frêle cheville, bien décidé à en finir avec elle.
Pourtant un vague sourire se dessina sur le visage de porcelaine de la Gardienne.

- Je vois… Un comité d’accueil !...

Cela confirmait ses soupçons, il y avait à l’intérieur de cette immense tempête de sable quelque chose qu’elle ne devait pas voir.
Et manifestement l’Etre de Pierre semblait décidé à en finir avec elle, il l’enleva du sol en la tenant toujours par la cheville, brandissant son autre poing de pierre, prête à la briser en deux.
Mais Serena n’entendait pas se faire tuer de la sorte, elle se contorsionna pour faire face au golem et un cri strident supplanta quelques instants le rugissement de la tornade.
Il y eut un fracas de pierre et, en déployant brièvement ses ailes, la demi-Sélène retomba souplement sur le sable du désert, sa fidèle petite chouette harfang entre ses mains.

L’instant d’après, le colosse de pierre s’effondra dans un grand bruit dans le désert, sa tête pulvérisée par le cri surpuissant et l’onde de choc générée par celle qu’il tenait en son pouvoir quelques secondes auparavant.
Mais juste derrière la Gardienne, une autre explosion de sable déchira les ténèbres et elle eut tout juste le temps de s’écarter d’un coup d’ailes pour esquiver deux gigantesques poings de pierre qui s’abattirent en marteau à l’endroit précis où elle se tenait l’instant d’avant.
Son regard couleur écarlate s’assombrit alors qu’elle se mettait en sûreté dans les cieux noirs chargés de sable, elle devait pénétrer dans cette tornade avant qu’on s’aperçoive de sa présence et que toutes les créatures des environs soient rameutées pour l’arrêter dans sa quête.
Sa main blanche aux doigts délicats effleura le sceptre orné de deux petits dragons aux écailles rutilantes, dissimulé à sa ceinture.

- Venez à moi, Dragons Jumeaux !...

Une brève lumière bleue illumina l’artefact et l’instant d’après, deux petits dragons aux écailles bleues voletaient auprès d’elle, luttant de leurs forces contre les rafales de vent et de sable qui s’engouffraient dans ses vêtements.
En-dessous d’elle, l’Etre de Pierre tentait de toutes ses forces de l’atteindre afin de la broyer au sol comme le prévoyait celui que Serena venait de vaincre.
Mais elle n’avait plus le temps de jouer avec ce genre de créature, elle entrouvrit les lèvres et ses petits dragons l’imitèrent avec leurs gueules.
Un chœur de cris déchirants retentit dans le désert et percuta de plein fouet l’Etre de Pierre qui sembla se briser en mille morceaux à l’impact de l’onde de choc.
Il ne resta quasiment plus rien de lui, si ce n’est une pluie de pierres noires dans le sable du désert.
La magicienne blanche se tourna vers le tourbillon noir, elle ne pouvait pas attendre plus longtemps pour savoir ce qui se cachait au-delà de ce phénomène.

- Il faut que je vois ce qui se cache à l’intérieur de cette tornade !...

Les pupilles écarlates de la jeune femme se posèrent sur les prunelles étincelantes des petits dragons, elle avait une idée pour parvenir à ses fins mais elle ne pourrait pas y parvenir seule.

- J’ai besoin de votre aide !...

Les deux petits dragons mystiques hochèrent vivement la tête et le trio ferma les yeux.
Lentement, à la lueur de la Lune, sembla se former une bulle translucide autour de la Lucinienne, une bulle chargée de sa télékinésie, encore renforcée par celle de ses deux petits compagnons reptiliens.
Le vent et le sable qu’il transportait semblaient seulement glisser à sa surface, comme si Serena était désormais protégée par cette nouvelle manifestation de son pouvoir psychique.
Elle rouvrit brusquement ses yeux qui semblaient blancs et luminescents, comme si la magie qui la possédait parcourait chaque fibre de son être.

- En avant !...

A son commandement, la bulle télékinésique se dirigea droit vers le tourbillon noir et, après maints efforts, elle pénétra enfin dans la tornade chargée de tonnes de sable en mouvement.
La lutte était rude, il fallait à la fois combattre le sable qui ne demandait qu’à exploser sa protection comme une vulgaire bulle de savon, les vents violents prêts à la broyer.
Mais elle devait voir ce qui se cachait derrière ce phénomène, il le fallait !...

De toute son existence, Serena n’avait jamais connu pareille épreuve que la traversée de cette tornade de sable en furie sous la frêle protection de sa télékinésie, pourtant renforcée par celle de ses petits dragons.
Elle avait l’horrible sensation de n’être qu’un insecte dans une bulle de savon prise au cœur d’un maelström.
De toutes ses forces, la Gardienne luttait contre le vent prêt à lui briser les os et à arracher son souffle, aux sables qui lui arracheraient la peau, elle obligeait à faire avancer la bulle télékinésique au travers de ce mur d’air et de sable.
De longues minutes s’écoulèrent dans ces ténèbres perpétuelles, où le hurlement du vent et le fracas des sables étaient tels que la magicienne blanche ne percevait même plus le son de sa propre respiration.
Puis toute résistance cessa si brusquement que la jeune femme en fut la première surprise et elle rouvrit immédiatement les yeux avant que ses iris écarlates ne s’écarquillent sous l’effet de la surprise.
Dans les profondes ténèbres du cœur de cette tornade, il n’y avait plus le moindre souffle de vent, comme si le tourbillon chargé de sable n’était qu’une sorte de barrière destinée à empêcher les curieux de voir ce qui se trouvait à l’intérieur.
Et ce qu’il y avait à l’intérieur était stupéfiant : illuminé par des braseros… se dressait un gigantesque château, apparemment entièrement constitué de sable.

Spoiler:

Prudemment, la Lucinienne obligea la bulle qui l’enfermait à atterrir et celle-ci se déchira comme une vulgaire bulle de savon quand elle toucha le sol.
Avec surprise, elle constata qu’elle pouvait respirer sans difficultés, la terrible tempête ne semblait faire rage qu’à l’extérieur, son cœur semblait totalement épargné par la manifestation qui causait tant de chaos en Umbra.
Une chose était certaine : peu importe par quel miracle ce palais exceptionnel avait été érigé, quelqu’un ou quelque chose s’était donné beaucoup de mal pour que personne ne puisse témoigner de son existence.
Mais la réponse aux questions de la jeune femme devrait attendre un peu, quelque chose approchait et vite !...
Son oreille fine percevait très nettement des frottements rapides sur le sable et ils provenaient de ce qui semblait une des entrées de cette forteresse.
La demi-Sélène se précipita derrière un mur et s’y tapit, blottissant contre elle ses deux petits dragons mystiques mais aussi sa fidèle petite chouette harfang.
Tsuki semblait tout sauf ravie de cette nouvelle cohabitation mais elle se tut devant l’air sérieux de sa petite maîtresse.
Serena se faisait aussi petite que possible, elle avait un champ de vision idéal sur cette entrée et les frottements vifs sur le sable se rapprochaient de plus en plus.
Brusquement, deux ombres se dessinèrent à la lumière du brasero qui surplombait ce porche et enfin ceux à qui elles appartenaient apparurent.
Les yeux couleur rubis de la Gardienne s’écarquillèrent, elle comprit brusquement ces frottements vifs qu’elle entendait jusqu’alors.
Ceux qu’elle entendait venir depuis les entrailles du palais de sable n’étaient autres que deux Naga, des cimeterres au clair, semblables à des jeunes hommes de la tête jusqu’à la taille mais leur partie inférieure était semblable au corps d’un gigantesque serpent.
Ils tournèrent la tête de coté et d’autre, apparemment ils recherchaient quelque chose.

- Je ne vois rien, souffla le premier, comme déjà agacé par cette recherche.

Un sourire amusé se dessina sur le visage du second, cheveux noirs et yeux dorés, ils se ressemblaient, comme deux frères.

- Le Maître a dit qu’une petite souris avait réussi à rentrer !... Nous n’avons qu’à la chercher !...

Le regard de la demi-Sélène s’assombrit : qui que soit ce Maître dont ils parlaient, il avait déjà perçu sa présence, ce qui signifiait qu’il était sans le moindre doute puissant et qu’il la qualifie de petite souris démontrait qu’il considérait son intrusion comme une chose négligeable.
Heureusement pour elles, les frères naga s’éloignèrent un peu de sa cachette mais le premier des deux se remit à grommeler après seulement quelques mètres.

- Personne n’a pu franchir le mur de la tornade !... C’est sans doute un monstre du désert que les vents ont attrapé ! Laissons les Sbires de Pierre s’en charger !...

Sans attendre l’assentiment de son frère, il saisit le sifflet doré à son cou pour le porter à ses lèvres et un sifflement qui perça les tympans de la Lucinienne retentit.
Presque aussitôt, il y eut une puis deux puis trois explosions de sable autour d’eux et lentement trois Etres de Pierre se redressèrent, dégoulinants encore du sable qui les dissimulaient jusqu’alors.
Le regard doré du Naga s’acéra et il donna ses ordres aux créatures qu’il avait réveillées.

- Le Maître dit qu’un intrus a pénétré dans son domaine ! Trouvez-le et tuez-le !...

Un frisson parcourut le plumage de Tsuki en entendant ça et Serena dut retenir son bec pour qu’elle ne pousse un piaillement de frayeur.
Mais l’un des Etres de Pierre se retourna brusquement dans sa direction, avait-il perçu sa présence ?
La jeune femme retint sa respiration et ne fit pas le moindre geste pour signaler sa présence mais du sable crissa sous elle.
Aussitôt les trois Etres de Pierre invoqués par les Naga se tournèrent dans sa direction, plus de doute à avoir, ils l’avaient repérée !...
Un sourire cruel fendit le visage de l’un des deux frères, dévoilant ses crochets acérés.

- Nous savons que tu es là, petite souris ! Sors de ta cachette ou nous t’en ferons sortir de force !...

Il n’y avait plus à hésiter, elle devait combattre ces Naga et leurs créatures si elle voulait savoir qui était ce Maître et pénétrer dans ce château de sable.
D’un geste vif, la Gardienne dégaina sa Dague du Vent et une bourrasque violente chargée de sable déferla vers ses adversaires, les aveuglant momentanément.
Lorsqu’ils purent voir à nouveau, elle les dominait depuis les airs, ses ailes immaculées la maintenant bien hors de leur portée, entourée de ses petits Dragons Mystiques et de sa fidèle chouette harfang.

- Je n’ai pas l’intention de me cacher !...

Une lueur de magie pure s’empara de son regard, laissant ses iris écarlates faire place à des pupilles intensément blanches et luminescentes, et, imitée de ses deux petits dragons, trois rafales soniques balayèrent les Etres de Pierre, les transformant en pluie de pierres.
Mais les Naga n’entendaient pas se laisser vaincre si facilement !

- Espèce de petite garce !...

Aussi vifs que des vipères, ils se dégagèrent de la pluie de pierre déclenchée par la destruction de leurs créatures et ils bondirent vers elle, prêts à plonger leurs crocs empoisonnés dans la chair tendre et blanche de la Lucinienne.
Mais ils n’en eurent jamais l’occasion : brusquement ils se figèrent dans l’air, comme tombés dans la toile invisible d’une gigantesque araignée.

- Qu’est-ce que…
- C’est quoi cette sorcellerie ?!...

Il était bien question de magie, c’était la télékinésie de la magicienne blanche qui les maintenait en l’air sans qu’ils puissent redescendre ou faire mine de continuer leur attaque sur l’intruse.
Mais elle s’était déjà bien trop servie de ce pouvoir pour pénétrer la tempête de sable, elle ne pourrait pas les maintenir de la sorte très longtemps.
Sans crier gare, elle pointa chacune de ses mains vers eux et une masse d’eau se matérialisa devant chacune d’elles.
L’instant d’après, l’eau fut projetée vers les deux Naga, les enveloppa et se cristallisa avant que les deux êtres ne retombent dans le sable, piégés dans un épais carcan de glace translucide.
La demi-Sélène reprit le chemin de la terre ferme et elle se tourna vers ses deux adversaires immobilisés, son regard écarlate revenu à la normale.

- Désolée mais je n’ai pas de temps à perdre !...

Sans plus attendre, Serena leur tourna le dos et s’enfonça dans le couloir qu’ils gardaient jusqu’alors, la tête remplie de mille questions et entourée du trio de ses petits alliés.
Une forteresse de sable et de vent, des gardiens de pierre et des Naga en tant que soldats…
Qui pouvait bien être le Maître de cet intrigant château de sable ?...

A mesure qu’elle avançait dans le château de sable, Serena n’en était que plus stupéfaite.
En dépit du matériau qui le constituait tout entier, toute cette forteresse semblait étonnamment solide, comme si elle était faite de pierre et de mortier.
Plus étonnant encore, elle ressemblait vaguement à la forteresse de Tenamas, du moins si elle en croyait les souvenirs qu’elle conservait de ce lieu qu’elle avait fui à toute vitesse aux cotés de sa seule et unique amie aujourd’hui, la demi-démone Espériane Bréséliande.
Pourquoi donc quelqu’un aurait-il voulu construire une Forteresse de Sable au beau milieu du Désert Sombre ?
Et pourquoi donc la dissimuler au cœur d’une tempête de sable aussi violente, au point de faire fuir ou disparaître tous les occupants du désert ?
Que cherchait à faire ce Maître dont les deux Naga qui gardaient l’une des entrées parlaient ?
Autant de questions qui se profilaient dans l’esprit de la magicienne blanche à mesure qu’elle s’enfonçait dans les entrailles de ce château de sable.
Des braseros éclairaient les ténèbres de cette forteresse, aux couloirs aussi bien dessinés que ceux d’un palais de marbre et de pierre.

Mais bientôt des gémissements parvinrent aux oreilles de la Lucinienne, elle fit signe à sa fidèle petite chouette harfang de se taire et elle la blottit à nouveau sous son manteau.
Quant aux petits dragons mystiques qui l’accompagnaient, ils se posèrent sur ses épaules et s’y tapirent comme pour se tenir prêts à sauter à la gorge de nouveaux ennemis.
A pas de loups, elle s’approcha doucement de la source des gémissements et lorsqu’un rire retentit dans les profondeurs de cette forteresse, elle s’arrêta derrière une arcade et s’y dissimula afin de mieux voir ce qui se tramait devant elle.
Le rire retentit de nouveau et à la lueur d’un brasero, elle devina la forme d’un nouveau Naga qui se dessinait dans les ténèbres.
Mais son buste était différent, la femme-serpent qui se tenait là semblait garder les geôles dont elle devinait les barreaux et d’un coup de lance, elle fit reculer dans un gémissement de douleur un homme qui tendait la main vers elle en signe de pitié.
Elle se mit à rire de nouveau en retirant sa lame ensanglantée de l’épaule du vieil homme qu’elle venait de transpercer et porta sa langue bifide à l’écarlate avant de prendre la parole.

- Inutile de vous débattre, pathétiques humains ! Le Maître s’occupera de chacun de vous en temps et en heure !...

Le regard écarlate de la Lucinienne s’assombrit : par Amar et son clan mais aussi par les rumeurs qui parcouraient Tenamas, elle avait appris que nombre de caravanes avaient disparu au cœur de la tempête de sable qui s’était abattu sur le Désert Sombre.
Visiblement, ils n’avaient pas simplement disparu, ils avaient été capturés par le maître des lieux mais dans quel but ?
Seulement afin de ne pas dévoiler son extraordinaire domaine ou bien à des fins beaucoup moins glorieuses ?
La femme-serpent fit claquer sa langue bifide, comme pour faire reculer la masse humaine qui se tassait derrière ces barreaux.

- Je vous conseille de vous tenir tranquilles ! Sinon je n’hésiterai pas à dévorer encore un ou deux de vos enfants !...

Des cris horrifiés retentirent dans les geôles tandis que Serena jugulait une nausée qui la submergeait soudain en plaquant sa main sur sa bouche.
Des petits ossements tapissaient le sol autour de la femme-serpent mais jusque là elle n’avait pas compris ou bien pas voulu comprendre de quoi il s’agissait.
Une chose était certaine pour la demi-Sélène tandis qu’elle luttait contre la nausée qui lui soulevait le cœur, elle n’allait pas laisser ces malheureux servir de repas à cette Naga !...
Et manifestement elle n’était pas la seule à vouloir leur venir en aide, Tsuki s’hérissa soudain de toutes ses plumes et vola jusqu’à la geôlière reptilienne pour s’attaquer à sa chevelure sombre.
Celle-ci se mit à gémir et à tenter d’arrêter la chouette harfang qui lui arrachait les cheveux en essayant de l’attraper de toutes ses forces et en la menaçant de ses griffes acérées.

- Sale bête !... D’où est-ce que tu sors !... Aïe !... Arrête !...

La Gardienne ne pouvait pas laisser passer une occasion pareille, sans attendre elle dégaina l’une de ses Epées Spirituelles et se jeta droit vers la créature qui lui tournait le dos pour essayer de se débarrasser tant bien que mal de sa fidèle compagne.
Avant que la femme-serpent eut un geste pour se retourner, la lame étincelante la transperça à l’épaule et elle s’effondra dans une gerbe de sang qui éclaboussa le visage de porcelaine de la Lucinienne.
Celle-ci fit une moue dégoûtée et essuya d’un revers de main les quelques gouttes d’écarlate tandis que la Naga gisait au sol, stupéfaite par cette attaque et pourtant incapable de bouger, victime de la torpeur que générait l’arme de la demi-Sélène.
Enjambant sans remords le corps inerte de la geôlière, elle se dirigea vers les barreaux de sable durcis et y abattit sa lame de deux coups du tranchant.
Un à un, les barreaux tombèrent et d’abord surpris, les bédouins et autres commerçants capturés par la tempête de sable s’approchèrent avec prudence de leur porte de sortie improvisée.
Elle se devait de les rassurer.

- Vous pouvez sortir de ce palais. Hâtez-vous vers l’extérieur !...

La magicienne blanche savait parfaitement qu’ils ne pourraient pas sortir de cet étrange domaine dont la tempête de sable semblait établir la frontière.
Mais elle devait les faire fuir cette forteresse aux allures éphémères le plus vite possible, il n’était pas dit que le maître de ces lieux n’ait encore des hordes de Naga ou d’Etres de Pierre à jeter à leurs trousses s’ils avaient le malheur de traîner.
Les prisonniers balbutièrent quelques remerciements maladroits tant ils étaient encore sous le choc de leur délivrance aussi inattendue que leur capture mais ils ne demandèrent pas leur reste longtemps.
Quelques-uns s’attardèrent seulement pour décocher quelques coups de pied revanchards contre la femme-serpent réduite à l’impuissance avant que l’un des plus costauds d’entre eux ne dessine de la prendre par la queue pour l’emmener avec eux.
Sans doute prévoyait-il de lui régler son compte ou, au mieux, de l’empêcher de nuire à la blanche demoiselle qui venait de les délivrer de leur prison de sable.
Mais le fier gaillard se retourna une dernière fois en traînant la créature qui s’agrippait au sol tant bien que mal avec ses griffes et ses crocs en gémissant faiblement.

- Soyez prudente Mam’zelle !... Ce qui se terre ici… C’est le diable en personne !...

Serena le contempla quelques instants sans comprendre mais le bédouin n’ajouta rien de plus, il se contenta de disparaître à la suite des siens dans les ténèbres de la forteresse, emmenant avec lui sa proie.
Elle caressa Tsuki qui venait de se reposer sur son épaule, se faisant une place d’autorité auprès des Dragons Jumeaux.

- Ne traînons pas !...

Plus la Lucinienne s’enfonçait dans les ténèbres de cette forteresse, plus elle avait un mauvais pressentiment.
Le Monstre des Sables au dehors, cette gigantesque forteresse de sable issue de nulle part, ces créatures sous ses ordres… Nul doute que le maître des lieux était un sorcier d’une grande puissance, pour le moins égale à la sienne, peut-être même supérieure.
Or (et sans vouloir se vanter) Serena savait que ses aventures au sein des trois mondes avaient fait d’elle au fur et à mesure des mois une magicienne redoutable, peut-être même l’une des plus puissantes parmi tous les sorcières vivants à ce jour.
Qui pouvait donc être ce sorcier à la puissance peu commune ? Elle connaissait fort peu de gens capables de tels prodiges.
Le souvenir de l’un d’eux la transperça cruellement mais il ne pouvait pas s’agir de lui, il était mort depuis bien longtemps désormais.
La Gardienne s’arracha à ses sombres pensées à cause du silence de mort qui l’entourait.
C’était anormal, le maître des lieux savait qu’elle était ici, peut-être même qu’elle était venue à bout de ses sbires et avait délivré tous ses prisonniers, pourquoi ne lançait-il pas toutes ses troupes pour l’arrêter ou bien ne se déplaçait-il pas en personne pour l’accueillir ?
Cela sentait un peu plus le piège à mesure qu’elle s’enfonçait dans le château de sable et, lorsqu’elle se mit à gravir un monumental escalier, semblable à celui qui avait été construit dans la Forteresse de Tenamas, son cœur se serrait un peu plus à chaque marche qu’elle survolait.

Il l’attendait… Il n’y avait absolument aucune logique à cela, il aurait pu lancer toutes ses troupes face à elle, au lieu de cela il semblait simplement attendre à ce qu’elle parvienne jusqu’à lui.
Pourquoi ? La magicienne blanche n’avait aucune réponse à cette question quand elle ouvrit à la volée les deux larges et hautes portes qui se présentaient face à elle.
Elle entra presque en courant dans la salle dallée de verre noir… et elle se figea presque aussitôt.
La salle toute entière étincelait à la lumière dansante des braseros, l’odeur et la fumée de l’encens semaient un léger brouillard dans la pièce et, au fond de celle-ci, un gigantesque trône noir était dressé.
Confortablement assis sur ce siège fastueux, un homme lui faisait face, un sourire aux lèvres.
Serena écarquillait un peu plus les yeux à chaque instant qui passait, cette silhouette à la fois altière et élégante, cette peau blanche, ces cheveux bruns qui retombaient en bataille sur sa nuque, ces yeux émeraudes qui semblaient étinceler d’autant d’amusement que son sourire…
C’était impossible et pourtant… elle le reconnaissait sans l’ombre d’un doute.
Sa voix sembla rauque quand elle parvint à la faire jaillir péniblement de sa gorge.

- Ar… cania ?...

La magicienne blanche était totalement désorientée, elle ne pouvait croire qu’Arcania D. Cysique se tenait sous ses yeux.
Elle l’avait vu mourir, se transpercer de sa propre lame devant elle lorsqu’elle avait découvert avec douleur que celui qu’elle aimait appartenait à l’Ordre Nouveau, une confrérie qui prônait la destruction des Esprits Créateurs et l’hégémonie de ceux qu’on nommait les Déchus.
En bref, il était son ennemi et, comme s’il ne supportait pas de devoir la combattre, il s’était transpercé de sa lame avant de se désagréger devant ses yeux.
Comment pouvait-il être ici, bien vivant, siégeant dans ce trône de verre noir comme s’il était le maître des lieux ?...
Pourtant, un odieux puzzle se mettait en place dans son esprit : cette tempête de sable qu’aucun sorcier ne parvenait à annihiler… elle pouvait très bien être l’œuvre du chevaucheur de nuées !...
La Gardienne fit un pas dans sa direction, tremblant de tous ses membres.

- C’est… impossible !... Pourquoi… es-tu là ?...

Un large sourire se dessina sur le visage d’Arcania et cette voix aux intonations profondes qu’elle avait cru ne plus jamais entendre retentit sous la voûte du château de sable.

- Je t’attendais…

La demi-Sélène sentait des larmes de joie lui venir aux yeux, elle était si heureuse de revoir l’élu de son cœur.
Elle avait tant de choses à lui dire, tant de questions à lui poser que cette étrange forteresse et tout ce qui l’entourait devenaient soudain secondaires.
Mais il y avait dans cette pièce parfaitement silencieuse un être qui ne partageait pas le bonheur de la Lucinienne, c’était sa petite chouette Tsuki.
Le rapace au plumage immaculé prit son essor, presque complètement hérissée, elle détestait cordialement Arcania depuis leur première rencontre et elle devait lui faire payer chacune des larmes que sa petite maîtresse avait versées à cause de lui.
Mais soudain la jeune chouette harfang repéra quelque chose dans les arcades qui les surplombaient et elle poussa un piaillement strident pour alerter la magicienne blanche.
Celle-ci sortit péniblement de cette bouffée de joie qui l’enveloppait toute entière, juste à temps pour voir deux femmes-serpents bondir depuis les arcades, toutes griffes et crocs dehors, avant de hurler en chœur.

- MEURS !!!

La Gardienne se reprit juste à temps pour déployer ses ailes et esquiver cette attaque, les deux Naga se redressèrent pile à l’endroit où elle se tenait l’instant d’avant.
Incrédule, elle posa son regard écarlate sur le jeune homme qui se tenait toujours confortablement dans son trône de verre noir.

- Arcania !!!...

Mais l’harmonien ne fit pas un geste pour la défendre, bien au contraire, le sourire qui illuminait son visage depuis qu’il l’avait vue entrer sembla encore s’agrandir.
Les deux femmes-serpents avancèrent en rampant doucement vers elle, ricanant, claquant des mâchoires et tendant leurs griffes menaçantes dans sa direction.

- Nous ne te laisserons pas aller plus loin, ma jolie !...
- Le Maître veut ta mort et nous allons l’exaucer !...

Serena ne pouvait pas le croire, certes elle avait été si choquée en découvrant qu’il était un membre de l’Ordre qu’elle l’avait instinctivement repoussée mais elle n’avait rien fait qui mérite qu’Arcania veuille sa mort.
Au contraire, elle était si heureuse de le retrouver alors qu’elle le croyait perdu à jamais, pourquoi voulait-il la supprimer ?
A nouveau, elle se tourna vers le jeune homme tout en reculant face aux Naga.

- Arcania ! Dis quelque chose !...

Mais l’une des femmes-serpents bondit droit vers elle et elle eut à peine le temps d’esquiver.
Ses griffes la frôlèrent et il y eut un déchirement de tissus, des fragments de vêtements blancs volèrent brièvement dans les airs avant de retomber mollement dans le sable.
Les Dragons Jumeaux qui se tenaient jusque là immobiles sur ses épaules prirent leur essor, prêts à défendre la magicienne blanche.
Les Naga se mirent à tournoyer autour d’elles, ondulant sur le sable comme deux vipères prêtes à se jeter sur une proie à leur portée.

- Le Maître n’a rien à te dire !...
- Tu n’es déjà qu’un cadavre en sursis pour lui !...

La deuxième bondit à son tour sur elle mais elle ne réussit qu’à passer ses griffes entre les cheveux immaculés de la Lucinienne.
Mais le résultat de son attaque ne fut sûrement pas ce qu’elle attendait, une lueur blanche s’empara brusquement de son regard et l’air de la vaste salle sembla se mettre à vibrer.
Il en fallait beaucoup pour mettre Serena en colère mais cette fois, elle se sentait véritablement furieuse.

- Vous ne m’empêcherez pas de lui parler !...

Le sol sembla se déchirer sous les queues de serpent des deux Naga et brusquement des lianes jaillirent du sable pour s’emparer d’elles.
Elles se débattaient pour briser leurs entraves végétales mais elles gémirent en voyant des ronces gigantesques surgir du sol et les enfermer dans des cages hérissées d’épices tranchantes.
La Gardienne savait qu’elles n’en ressortiraient pas aisément et sans doute pas sans blessures, elle avait du temps pour comprendre pourquoi l’élu de son cœur voulait désormais la supprimer.

- Explique-moi Arcania !... Je te croyais mort !... Comment se fait-il que je te retrouve ici ? Pourquoi veux-tu me tuer ?...

A nouveau, le jeune homme ne prit pas le temps de répondre et cela ne fit qu’accroître la colère de la magicienne blanche, elle l’aimait tant et maintenant il voulait la tuer sans aucun remords ?!
Mais brusquement elle entendit quelque chose, une voix caverneuse qu’elle ne connaissait pas.

* Petite idiote !... Tu te fais duper si aisément !...*

Serena ne comprenait pas, Arcania ne parlait pas, elle entendait seulement les deux femmes-serpents gémir et se débattre dans leur cage de ronces, il n’y avait personne d’autre.
Mais la voix retentit à nouveau, dans son esprit : toute à sa colère et à son incompréhension, elle ne s’était pas rendue compte qu’elle s’était mise à lire dans les pensées du jeune homme qui se tenait confortablement assis dans son trône.

*Sous cette apparence, je la tuerais !... *

La jeune femme écarquilla brusquement ses prunelles devenues blanches et luminescentes, était-il possible… qu’elle se trouve face à un métamorphe, une vulgaire copie de celui qu’elle aimait ?

- Qui êtes-vous ?!...

Ce fut au tour du jeune homme d’écarquiller brusquement les yeux et un sourire carnassier envahit son visage alors qu’il daignait enfin se redresser sur le trône de verre noir.
Cette fois, la voix caverneuse qu’elle n’avait entendue que dans son esprit jaillit de la gorge de celui qu’elle pensait être Arcania.

- Quelle surprise !... Tu lis dans les pensées toi aussi !...

La Lucinienne était à la fois cruellement déçue et en colère mais elle se mit en garde face au maître des lieux.
Elle avait compris qu’il ne s’agissait pas d’Arcania, son bien-aimé mais alors qui était le seigneur de ce château de sable ?...

- Je vous ai posé une question !...

Serena cria presque s’en sans rendre compte et une rafale sonique déferla sur le faux Arcania qui recula d’un pas tout en se protégeant le visage de l’attaque comme si de rien n’était.
Un nouveau sourire carnassier se dessina sur son beau visage et une lueur meurtrière dévora son regard émeraude quand il le reposa sur la blanche demoiselle.

- Tu mérites bien de le savoir… avant de mourir !...

Un vif courant d’air s’éleva soudain dans la pièce, obligeant la demi-Sélène à reculer de quelques pas.
L’imposteur disparut dans une mini-tornade chargée de sable et, dans le rugissement du vent, elle grandit avant de se déchirer comme du papier.
La magicienne blanche écarquilla les yeux en voyant la créature haute de quatre mètres se dresser face à elle.

- Un Diantrefosse !...

Jamais Serena ne s’était retrouvée face à une telle créature, elle en avait seulement entendu parler dans les livres de légende, des créatures aussi malveillantes que leur apparence pouvait être effrayante.
Elle comprenait mieux ce que le bédouin avait voulu dire en la prévenant que le maître des lieux était le diable en personne.
A sa connaissance, ces créatures maléfiques n’existaient désormais qu’en Umbra, voire étaient confinées à l’intérieur de Tenamas selon ce qu’elle avait pu entendre.

- Que… faites-vous ici ?...

Un ricanement sinistre retentit dans la gorge du Diantrefosse et il tendit sa main écailleuse et griffue dans sa direction.

- Petite et pitoyable créature !... Comment pourrais-tu comprendre mes desseins ?...

Brusquement il ramena sa main au-dessus de son épaule et dans un geste vif, il lança une rafale aussi tranchante que puissante pour balayer la Lucinienne.
D’un coup d’ailes, elle se propulsa dans les airs pour échapper à l’attaque mais elle fut repoussée en arrière par le mouvement d’air dans la vaste salle.
Sans attendre, le Diantrefosse la rejoignit et se mit à sa hauteur pour ne pas lui laisser un instant de répit.

- J’en avais plus qu’assez de devoir obéir à ces moins que rien de la Forteresse !...

Des flammes se condensèrent devant la créature maléfique et la gardienne eut tout juste le temps de faire appel à son pouvoir sur l’élément aquatique.
Dans un fracas terrible, un torrent de flammes et un déluge d’eau se mirent à s’affronter dans une lutte mortelle dans un déferlement de vapeur étouffante.
La lutte était terrible, Serena ressentait la température éprouvante du feu, le Diantrefosse maudissait l’eau glaciale qui l’assaillait, ils semblaient de force égale.
Comme si chacun tentait de lire dans les pensées de l’autre, ils brisèrent leur assaut et ils disparurent tous deux dans la brume épaisse qui avait pris possession de la vaste salle.

- J’ai maudit toute ma vie ces êtres pathétiques qui règnent sur ce monde !... A la première occasion, je leur ai faussé compagnie et enfin mené mes projets à bien !...

Le Diantrefosse tourna vivement la tête en croyant percevoir un mouvement et une tornade de flammes fendit la brume pour baigner le sol.
Deux hurlements déchirants retentirent dans la vaste salle, les deux Naga prisonnières des ronces brûlées vives par les flammes dévorantes de leur seigneur et maître.
Mais il se moquait de ces femmes-serpents comme d’une guigne et il se mit à scruter la brume d’eau environnante à la recherche de cette minuscule femme ailée qui lui faisait obstacle.
Il ne parvenait pas à percevoir ses pensées, était-il possible qu’elle censure ses pensées pour qu’il ne la repère pas ?

- Tu ne peux rien contre moi !... J’ai donné naissance à cette tempête de sable et je lui donnerais de plus en plus de force !... Le désert dévorera totalement Umbra et tout être vivant se soumettra à moi… ou bien périra !...

Ce palais de sable serait bien vite le remplaçant de la Forteresse et une fois que les sables auraient dévoré ce monde, il régnerait en seigneur et maître sur le monde des ténèbres.
Mais il capta brusquement une pensée si déterminée à le supprimer qu’il en eut un frisson.

* Je ne te laisserais pas faire !... *

Au dernier instant, il perçut un mouvement d’air derrière lui et il se retourna juste à temps pour voir la demoiselle ailée fendre la brume avec deux épées luminescentes au clair.
Avec un sourire carnassier, il para avec ses deux paumes recouvertes d’écailles épaisses et referma ses griffes puissantes sur les lames, les retenant d’une force bien supérieure à celle de la frêle Lucinienne.

- Petite idiote !... Tu croyais m’avoir avec… ça ?!...

Sa voix caverneuse et triomphante s’était muée soudain en gémissement incrédule, une douleur vive dans ses paumes l’avait soudain transpercé, il sentait son sang noir couler le sang de ses écailles et le métal des lames le brûlait, comme si une flamme blanche et glaciale les possédait.
Fou de colère, il la repoussa violemment, elle et ses armes.

- Maudite !...

Serena disparut dans la brume, plus que satisfaite du résultat face au Diantrefosse.
Elle avait dû sacrifier une licorne pour obtenir ses Epées Spirituelles, un geste qu’elle regretterait sans doute toute sa vie.
Mais pour une fois elle pourrait honorer la mémoire de cette bête sacrée en faisant disparaître de la surface de la Terre une créature maléfique entre toutes, jamais elle ne lui permettrait d’engloutir Umbra dans les sables pour y régner en seigneur et maître !...
Le diable était fou de rage d’avoir été blessé de la sorte, il libérait des flammes et des rafales de vent dans toutes les directions, à tel point que la brume se déchira soudain, dévoilant la demi-Sélène à sa vue.

- Je te tiens !...

Les pupilles écarlates de la Lucinienne s’écarquillèrent d’horreur face à la créature maléfique et voir la terreur sur son visage fit se dessiner un sourire carnassier sur le visage démoniaque du Diantrefosse.
Il pointa ses deux mains blessées vers lui, il allait lui faire regretter son impudence et elle payerait de sa vie !...

- Meurs !...

Dans un ronflement terrifiant, il déversa un torrent de flammes vers la Gardienne mais il sentit aussitôt qu’une trombe d’eau lui répondait avec force, dans un nouveau déluge de vapeur qui répandait une brume épaisse dans la vaste salle.

- Tu ne peux pas me vaincre !...

Le diable souriait à mesure que la trombe d’eau semblait reculer sous ses efforts, il tuerait cette femme, il la dévorerait de ses flammes et se délecterait de son hurlement d’agonie tandis qu’elle brûlerait vive sous ses yeux.
Mais brusquement la pensée de la magicienne blanche traversa son esprit comme une flèche.

* C’est ce que tu crois !... *

Le Diantrefosse n’eut même pas le temps de se retourner, il se figea dans son effort.
Ses flammes s’éteignirent brusquement et la trombe d’eau qui luttait contre elle cessa aussitôt… laissant apparaître dans la brume générée par la vapeur les deux petits Dragons Mystiques.
Incrédule, il baissa les yeux… et les posa sur les pointes luminescentes des lames sacrées qui jaillissaient de sa poitrine, dans un flot de sang noir.
La créature cracha ce même sang noir lorsqu’il entrouvrit sa bouche hérissée de crocs étincelants.

- C’est… impossible !...

Il avait attendu si longtemps pour s’échapper de Tenamas, si longtemps pour mettre un plan digne de ce nom au point, si longtemps pour parvenir à ses fins en détruisant ce monde qui lui faisait horreur.
Et il se faisait vaincre ainsi, transpercé par les lames sacrées d’une gamine qui ne faisait même pas la moitié de sa taille ?
Un long gémissement jaillit de sa gorge et, sous les yeux stupéfaits de la magicienne blanche, il commença à se désagréger, comme s’il s’était soudain pétrifié et retombait dans une pluie de sable noir au sol.
Mais Serena n’allait pas chercher à comprendre longtemps ce prodige, un violent tremblement de terre sembla soudain ébranler tout le palais.
Elle écarquilla les yeux en voyant de larges fissures se mettre à courir tout le long du plafond qui dominait la salle du trône.

- Tout ce palais va s’effondrer !...

Elle en avait assez d’avoir raison : à peine avait-elle prononcé ces mots que le plafond commença à s’effondrer dans des déluges de sable qui descendaient de partout.
La Lucinienne n’avait aucun moyen de s’échapper… à moins que…

- Par là !...

Aidée de ses petits dragons, elle projeta une dernière et formidable trombe d’eau dans un coin du plafond, balayant le sable tandis qu’il retombait plus solide en contrebas.
De toute la vitesse dont elle était capable, elle fendit la brume et les airs avant de jaillir dans le ciel noir.
A l’extérieur, elle assista à un spectacle digne de l’Apocalypse : la tempête de sable se brisait, privée de la force du Diantrefosse qui lui avait donné naissance et le château de sable s’effondrait de tous cotés, comme ses congénères de taille moindre.
Mais alors qu’elle pensait être hors de danger, un piaillement apeuré de Tsuki la fit se retourner et elle écarquilla les yeux d’incrédulité.
Mûe par le vent, une partie brisée du palais éphémère déferlait droit vers elle en une gigantesque vague noire, jamais elle ne parviendrait à l’esquiver à temps et encore moins à lutter contre elle, son combat contre le Diantrefosse et ses sbires l'avait vidée !...
Comme animée par la vengeance du diable qui régnait sur ces sables, la vague noire l’engloutit et les ténèbres s’abattirent sur la magicienne blanche !...

[HRP: Voilà qui conclut cette quête, j'en ai marre des rps qui finissent toujours bien pour le héros ^^ Vous retrouverez (peut-être) Serena dans un autre rp sur Umbra prochainement ^^ ]

Invité

Serena Magami--> 30 xps

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